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DEUXIÈME CHAPITRE

Aperçu de la Bhagavad-gītā

Texte

sañjaya uvāca
taṁ tathā kṛpayāviṣṭam
aśru-pūrṇākulekṣaṇam
viṣīdantam idaṁ vākyam
uvāca madhusūdanaḥ

Synonyms

sañjayaḥ uvāca: Sañjaya dit; tam: à lui (Arjuna); tathā: ainsi; kṛpayā: de compassion; āviṣṭam: submergé; aśru-pūrṇa-ākula: pleins de larmes; īkṣaṇam: les yeux; viṣīdantam: se lamentant; idam: ces; vākyam: paroles; uvāca: dit; madhu-sūdanaḥ: Celui qui fit périr le démon Madhu.

Translation

Sañjaya dit: Voyant la grande compassion d’Arjuna, ses yeux baignés de larmes et son esprit troublé, Madhusūdana, Kṛṣṇa, S’adresse à lui.

Purport

La compassion que l’on ressent pour ce qui est matériel, les lamentations, les larmes, montrent que l’on ignore l’identité réelle de l’être vivant. Par contre, la compassion que l’on ressent pour l’âme éternelle est un signe de réalisation spirituelle.

L’emploi dans ce verset du nom « Madhusūdana » est particulièrement significatif, car tout comme Kṛṣṇa mit à mort jadis le démoniaque Madhu, Arjuna désire maintenant Le voir anéantir le démon de la confusion qui s’est emparé de lui au moment où il allait accomplir son devoir. En général, nul ne sait quel doit être le véritable objet de la compassion. Or, il ne sert à rien d’avoir de la compassion pour les vêtements d’un homme qui se noie, attendu qu’on ne peut sauver quelqu’un de l’océan de l’ignorance en sauvant simplement son vêtement – le corps matériel grossier. Toute personne qui ignore cela et s’apitoie sur l’enveloppe charnelle est appelée śūdra car elle s’afflige sans motif valable. Mais en ce qui le concerne, Arjuna est un kṣatriya, de sorte qu’un tel comportement est inattendu. Kṛṣṇa peut toutefois dissiper l’affliction de l’ignorant, et c’est dans ce but qu’Il énonce la Bhagavad-gītā.

Texte

śrī-bhagavān uvāca
kutas tvā kaśmalam idaṁ
viṣame samupasthitam
anārya-juṣṭam asvargyam
akīrti-karam arjuna

Synonyms

śrī-bhagavān uvāca: Dieu, la Personne Suprême, dit; kutaḥ: d’où; tvā: en toi; kaśmalam: souillure; idam: une telle lamentation; viṣame: en cette heure de crise; samupasthitam: survenue; anārya: êtres ignorant la valeur de la vie; juṣṭam: le fait des; asvargyam: qui ne conduit pas aux planètes supérieures; akīrti: infamie; karam: cause de; arjuna: ô Arjuna.

Translation

Dieu, la Personne Suprême, dit: Ô Arjuna, comment de telles impuretés ont-elles pu naître en toi ? Ces lamentations sont tout à fait indignes d’un homme conscient de la valeur de la vie. Elles ne conduisent pas aux planètes supérieures mais à l’infamie.

Purport

Kṛṣṇa n’est autre que Dieu, la Personne Suprême. C’est pourquoi dans la Bhagavad-gītā Il porte le nom de Bhagavān, qui désigne l’aspect ultime de la Vérité Absolue. On distingue en effet trois phases dans la réalisation de la Vérité Absolue: le Brahman, l’Esprit impersonnel omniprésent; le Paramātmā, l’aspect de Dieu localisé dans le cœur de chaque être vivant; et Bhagavān, Dieu, la Personne Suprême, Śrī Kṛṣṇa. Le Śrīmad-Bhāgavatam (1.2.11) expose comme suit cette conception de la Vérité Absolue:

vadanti tat tattva-vidas
tattvaṁ yaj jñānam advayam
brahmeti paramātmeti
bhagavān iti śabdyate

« Le sage qui connaît pleinement la Vérité Absolue la réalise en trois phases. Ces trois aspects qui désignent une seule et même réalité ont pour nom Brahman, Paramātmā et Bhagavān. »

Pour illustrer ces trois aspects de Dieu, nous prendrons l’exemple du soleil qui présente lui aussi trois aspects différents: les rayons, la surface du globe et l’astre lui-même. Qui porte son étude sur les seuls rayons du soleil n’en reste qu’aux préliminaires, alors que celui qui en étudie la surface fait preuve d’une connaissance plus poussée. Quant à celui qui parvient à pénétrer au cœur même de l’astre, il possède la plus grande maîtrise du sujet. L’étudiant ordinaire qui se contente d’appréhender la seule lumière du soleil, son omniprésence dans l’univers et la nature impersonnelle de son rayonnement, peut être comparé au spiritualiste qui n’a pris conscience que de l’aspect Brahman de la Vérité Absolue, alors que l’étudiant plus instruit qui observe le disque solaire peut être comparé au spiritualiste ayant réalisé l’aspect Paramātmā. Quant à celui qui réussit à pénétrer au cœur de l’astre, on peut le comparer au spiritualiste qui a réalisé les traits personnels de la Vérité Suprême et Absolue (Bhagavān). Aussi, bien que tous s’absorbent dans l’étude d’un même sujet, les bhaktas, ceux qui ont réalisé l’aspect Bhagavān de la Vérité Absolue, s’avèrent être les spiritualistes les plus accomplis. Les rayons du soleil, le disque solaire et la réalité interne de l’astre sont indissociables, mais ceux qui étudient, chacun respectivement, l’un des aspects particuliers du soleil ne peuvent être rangés dans la même catégorie.

Le sens du mot Bhagavān nous est donné par le grand sage Parāśara Muni, le père de Vyāsadeva. L’Être Suprême est ainsi nommé car Il possède dans leur totalité, richesse, force, renommée, beauté, connaissance et renoncement parfaits. Bien qu’il y ait beaucoup de gens riches, puissants, beaux, célèbres, érudits ou détachés, aucun ne peut prétendre posséder dans leur intégralité l’ensemble de ces attributs. Seul Kṛṣṇa est en droit de les revendiquer car Il est Dieu, la Personne Suprême. Nul être vivant, que ce soit Brahmā, Śiva ou Nārāyaṇa, ne possède de telles opulences spirituelles. Brahmā conclut d’ailleurs lui-même dans la Brahma-saṁhitā (5.1) que Kṛṣṇa est Dieu, la Personne Suprême. Nul ne L’égale ou ne Lui est supérieur. Il est Bhagavān, le Seigneur originel, connu également sous le nom de Govinda. Il est la cause ultime de toutes les causes.

īśvaraḥ paramaḥ kṛṣṇaḥ
sac-cid-ānanda-vigrahaḥ
anādir ādir govindaḥ
sarva-kāraṇa-kāraṇam

« Nombreuses sont les personnalités qui possèdent les qualités de Bhagavān, mais Kṛṣṇa est la Personne Suprême, car nul ne peut Le surpasser. Il est Govinda, le Seigneur originel, la cause de toutes les causes, et Son corps éternel est toute connaissance et félicité. »

Le Bhāgavatam (1.3.28), qui recense un grand nombre de manifestations du Seigneur, affirme lui aussi que Kṛṣṇa est la Personne originelle Duquel émanent d’innombrables avatāras et Personnalités Divines:

ete cāṁśa-kalāḥ puṁsaḥ
kṛṣṇas tu bhagavān svayam
indrāri-vyākulaṁ lokaṁ
mṛḍayanti yuge yuge

« Toutes les manifestations divines énumérées ici sont des émanations plénières de Dieu, ou des émanations partielles de ces émanations plénières, mais Kṛṣṇa est Dieu Lui-même, la Personne Suprême. »

Kṛṣṇa est donc la Personne Suprême et originelle, la Vérité Absolue, la source de l’Âme Suprême et du Brahman impersonnel.

Les lamentations d’Arjuna sur le sort de sa famille, alors qu’il jouit de la compagnie personnelle de Dieu, sont certes inconvenantes. Kṛṣṇa lui exprime d’ailleurs Sa surprise par le mot kutaḥ, « d’où ». On ne s’attend pas à ce qu’un homme qui appartient à la classe civilisée des āryans puisse manifester de telles impuretés. Sont āryans ceux qui connaissent la valeur de la vie et placent la réalisation spirituelle au fondement de leur société. Ceux qui, au contraire, ont une conception matérielle de la vie ignorent que le but de l’existence est de réaliser la Vérité Absolue, Viṣṇu, ou Bhagavān. Captivés par les charmes apparents du monde matériel, ils n’ont aucune idée de ce que peut être la libération. Ceux-là sont les non-āryans. Arjuna, un kṣatriya, manque à son devoir en refusant le combat: cette lâcheté est indigne d’un āryan. Se dérober au devoir ne favorise certainement pas le progrès spirituel et ne permet même pas d’obtenir la moindre distinction en ce monde. Kṛṣṇa n’approuve donc pas la prétendue compassion d’Arjuna pour ses proches.

Texte

klaibyaṁ mā sma gamaḥ pārtha
naitat tvayy upapadyate
kṣudraṁ hṛdaya-daurbalyaṁ
tyaktvottiṣṭha paran-tapa

Synonyms

klaibyam: l’impuissance; mā sma: ne pas; gamaḥ: cède à; pārtha: ô fils de Pṛthā; na: jamais; etat: ceci; tvayi: à toi; upapadyate: ne convient; kṣudram: piètre; hṛdaya: du cœur; daurbalyam: la faiblesse; tyaktvā: rejetant; uttiṣṭha: lève-toi; param-tapa: ô toi qui châties l’ennemi.

Translation

Ô fils de Pṛthā, ne cède pas à cette impuissance avilissante qui ne te sied guère. Chasse de ton cœur cette piètre faiblesse et relève-toi, ô toi qui châties l’ennemi.

Purport

En nommant Arjuna « fils de Pṛthā », Kṛṣṇa tient à souligner qu’ils sont tous deux unis par les liens du sang, puisque Pṛthā est la sœur de Vasudeva, Son père. Or, quand le fils d’un kṣatriya refuse le combat, ou quand le fils d’un brāhmaṇa agit de façon impie, on dit qu’ils n’ont de kṣatriya et de brāhmaṇa que le nom car ils se montrent indignes de leurs pères. Kṛṣṇa ne veut pas qu’Arjuna devienne le fils indigne d’un kṣatriya. Parce qu’il a l’immense privilège d’être l’ami le plus intime de Kṛṣṇa et de L’avoir comme conducteur de son char, Arjuna commettrait un acte infâme s’il renonçait au combat. Kṛṣṇa lui fait remarquer que son attitude va à l’encontre de sa nature. Arjuna aura beau objecter qu’il souhaite exercer sa magnanimité envers le très respectable Bhīṣma ou envers les siens, Kṛṣṇa n’y voit qu’une simple faiblesse de cœur. Comme cette générosité, cette prétendue non-violence n’est corroborée par aucune autorité, les hommes comme Arjuna doivent s’en défaire en suivant les directives du Seigneur, Kṛṣṇa.

Texte

arjuna uvāca
kathaṁ bhīṣmam ahaṁ saṅkhye
droṇaṁ ca madhusūdana
iṣubhiḥ pratiyotsyāmi
pūjārhāv ari-sūdana

Synonyms

arjunaḥ uvāca: Arjuna dit; katham: comment; bhīṣmam: Bhīṣma; aham: je; saṅkhye: au cours du combat; droṇam: Droṇa; ca: aussi; madhu-sūdana: Toi qui tuas Madhu; iṣubhiḥ: avec des flèches; pratiyotsyāmi: contre-attaquerais; pūjā-arhau: ceux qui sont dignes de vénération; ari-sūdana: ô vainqueur des ennemis.

Translation

Arjuna dit: Ô Toi qui toujours triomphes de l’ennemi, Toi qui tuas le démon Madhu, comment pourrais-je, au cours de la bataille, repousser de mes flèches des hommes comme Bhīṣma et Droṇa, dignes de ma vénération ?

Purport

Respectable superiors like Bhīṣma the grandfather and Droṇācārya the teacher are always worshipable. Even if they attack, they should not be counterattacked. It is general etiquette that superiors are not to be offered even a verbal fight. Even if they are sometimes harsh in behavior, they should not be harshly treated. Then, how is it possible for Arjuna to counterattack them? Would Kṛṣṇa ever attack His own grandfather, Ugrasena, or His teacher, Sāndīpani Muni? These were some of the arguments offered by Arjuna to Kṛṣṇa.

Texte

gurūn ahatvā hi mahānubhāvān
śreyo bhoktuṁ bhaikṣyam apīha loke
hatvārtha-kāmāṁs tu gurūn ihaiva
bhuñjīya bhogān rudhira-pradigdhān

Synonyms

gurūn: les supérieurs; ahatvā: ne pas tuer; hi: certes; mahā-anubhāvān: de grandes âmes; śreyaḥ: il vaut mieux; bhoktum: jouir de la vie; bhaikṣyam: en mendiant; api: même; iha: en cette vie; loke: en ce monde; hatvā: en tuant; artha: un gain; kāmān: désirant; tu: mais; gurūn: les supérieurs; iha: en ce monde; eva: certes; bhuñjīya: on doit jouir; bhogān: d’objets de plaisir; rudhira: sang; pradigdhān: teintés de.

Translation

Je préférerais mendier que vivre en ce monde au prix de la vie d’aussi nobles âmes que mes précepteurs. Même s’ils convoitent les biens de ce monde, ils n’en demeurent pas moins nos supérieurs. Leur mort entacherait de sang tous nos plaisirs.

Purport

D’après les Écritures, un précepteur peut être rejeté s’il commet un acte abominable ou s’il perd son discernement. Or, Bhīṣma et Droṇa se sont crus obligés de rallier le parti de Duryodhana parce que ce dernier les soutenait financièrement. Mais ils n’auraient jamais dû accepter un tel compromis. Ils se sont rendus indignes du respect dévolu aux maîtres. Arjuna, cependant, continue à voir en eux ses supérieurs, si bien que pour lui, bénéficier à leur mort d’avantages matériels reviendrait à jouir de plaisirs entachés de sang.

Texte

na caitad vidmaḥ kataran no garīyo
yad vā jayema yadi vā no jayeyuḥ
yān eva hatvā na jijīviṣāmas
te ’vasthitāḥ pramukhe dhārtarāṣṭrāḥ

Synonyms

na: non plus; ca: aussi; etat: ce; vidmaḥ: nous savons; katarat: qui; naḥ: pour nous; garīyaḥ: mieux; yat vā: soit que; jayema: nous vainquions; yadi: si; vā: ou; naḥ: nous; jayeyuḥ: ils vainquent; yān: ceux qui; eva: certes; hatvā: en tuant; na: jamais; jijīviṣāmaḥ: nous ne voudrions vivre; te: eux tous; avasthitāḥ: sont situés; pramukhe: sur le front; dhārtarāṣṭrāḥ: les fils de Dhṛtarāṣṭra.

Translation

J’ignore s’il vaut mieux les vaincre ou être par eux vaincu. En tuant les fils de Dhṛtarāṣṭra, je perdrai le goût de vivre; et pourtant, les voici maintenant alignés devant nous sur ce champ de bataille.

Purport

Bien que le devoir du kṣatriya lui commande de se battre, Arjuna ne sait s’il faut risquer d’inutiles violences ou, au contraire, s’abstenir de lutter et vivre de mendicité – car à moins de vaincre ses ennemis, il n’aura aucun autre moyen de subsistance. Le succès n’est d’ailleurs pas acquis, puisque l’un et l’autre camp sont en mesure de l’emporter. Et même si la victoire attend ceux dont la cause est juste, quelle douleur de vivre sans les fils de Dhṛtarāṣṭra, morts au combat. La victoire ne serait finalement qu’une sorte de défaite. Ces réflexions d’Arjuna prouvent qu’il est non seulement un très grand dévot du Seigneur, mais encore quelqu’un de profondément éclairé et de parfaitement maître de son mental et de ses sens. Son désir de vivre de mendicité, alors qu’il est de sang royal, est une autre marque de son détachement. L’authenticité de sa vertu est bien réelle. Toutes ces qualités, jointes à sa foi dans les enseignements du Seigneur (son maître spirituel), le prouvent. Arjuna est donc parfaitement digne de la libération. À moins de se rendre maître des sens, on n’a aucune chance de s’élever au niveau de la connaissance; et sans connaissance et dévotion, il est impossible d’accéder à la libération. Or, outre ses mérites exceptionnels en ce qui concerne ses relations matérielles, Arjuna possède toutes ces qualités spirituelles.

Texte

kārpaṇya-doṣopahata-svabhāvaḥ
pṛcchāmi tvāṁ dharma-sammūḍha-cetāḥ
yac chreyaḥ syān niścitaṁ brūhi tan me
śiṣyas te ’haṁ śādhi māṁ tvāṁ prapannam

Synonyms

kārpaṇya: de l’avarice; doṣa: par la faiblesse; upahata: étant affligé; svabhāvaḥ: caractéristiques; pṛcchāmi: je demande; tvām: à Toi; dharma: le devoir (la religion); sammūḍha: confus; cetāḥ: dans le cœur; yat: quoi; śreyaḥ: le bien ultime; syāt: peut être; niścitam: en toute certitude; brūhi: dis; tat: cela; me: à moi; śiṣyaḥ: disciple; te: Ton; aham: je suis; śādhi: instruis simplement; mām: moi; tvām: à Toi; prapannam: soumis.

Translation

Une défaillance mesquine m’a fait perdre mon sang-froid et me rend confus quant à mon devoir; indique-moi donc précisément la meilleure voie à suivre. Je suis à présent Ton disciple et m’en remets entièrement à Toi. Veuille m’instruire, je T’en prie.

Purport

Les voies de la nature sont telles que l’agencement complexe des actions matérielles nous plonge tous dans la perplexité. À chacun de nos pas surgissent de nouvelles incertitudes. Il est par conséquent indispensable d’approcher un maître spirituel authentique qui puisse nous guider vers le but de l’existence. Tous les Textes védiques nous recommandent l’approche d’un tel maître afin de nous sauver des dilemmes qui naissent malgré nous, comparables à ces feux de forêt qui jaillissent spontanément. Même si personne ne les souhaite, des incendies se déclarent, nous rendant perplexes. La vie en ce monde va toujours nous plonger, automatiquement et indépendamment de notre volonté, dans une certaine confusion. C’est pourquoi la sagesse védique nous invite à trouver une solution aux embarras de la vie et à acquérir cette science auprès d’un maître spirituel appartenant à une succession disciplique. Le disciple d’un maître spirituel authentique est censé acquérir une parfaite connaissance. Il est donc préférable, plutôt que de rester irrésolu, d’approcher un tel maître. Telle est la teneur de ce verset.

On pourrait se demander qui la nature matérielle peut-elle bien rendre perplexe ? Tout simplement celui qui ne résout pas les problèmes de l’existence. La Bṛhad-āraṇyaka Upaniṣad (3.8.10) le décrit en ces termes: yo vā etad akṣaraṁ gārgy aviditvāsmāľ lokāt praiti sa kṛpaṇaḥ – « Est tenu pour mesquin et avaricieux (kṛpaṇa), l’individu qui ne cherche pas à résoudre les problèmes de l’existence tel un être humain et quitte ce monde comme le ferait un chat ou un chien, sans avoir compris la science de la réalisation spirituelle. »

La forme humaine est un atout inestimable pour qui l’emploie à résoudre les problèmes de l’existence. Celui qui ne profite pas de cette opportunité est un kṛpaṇa. Le brāhmaṇa, par contre, se sert intelligemment de son corps pour apporter une solution à l’ensemble des problèmes de l’existence. Ya etad akṣaraṁ gārgi viditvāsmāľ lokāt praiti sa brāhmaṇaḥ. (Bṛhad-āraṇyaka Upaniṣad 3.8.10)

Les kṛpaṇas ont une conception purement matérielle de l’existence. Ils passent leur temps à éprouver des sentiments excessifs pour les membres de leur famille, leur société, leur patrie, etc. Ils s’attachent à leur femme, leurs enfants et leurs proches sur la base des liens de la chair. Les kṛpaṇas croient qu’ils peuvent préserver de la mort les membres de leur famille, ou que ceux-ci, ou même encore la société, le leur rendront en les protégeant à leur tour à l’instant de la mort. Cet attachement existe aussi chez les animaux, qui prennent également soin de leurs petits. Arjuna est intelligent; il peut comprendre que son affection pour les membres de sa famille et son désir de les protéger de la mort sont à l’origine de sa perplexité. Bien qu’il ait conscience de son devoir de guerrier, une faiblesse mesquine l’empêche d’agir. C’est pourquoi il demande au maître spirituel suprême, Kṛṣṇa, de lui donner une solution définitive. Il se propose désormais d’être Son disciple et souhaite mettre un terme aux conversations amicales. Un maître et son disciple échangent toujours des propos sérieux. C’est donc avec beaucoup de sérieux qu’Arjuna veut s’adresser au maître spirituel qu’il s’est choisi. Kṛṣṇa est le maître spirituel originel, le premier à exposer la science de la Bhagavad-gītā, et Arjuna, le premier disciple qui la comprend.

Bien que la Gītā elle-même indique ce qui va permettre à Arjuna de saisir son message, certains commentateurs profanes, insensés, professent que ce n’est pas à la personne de Kṛṣṇa qu’il faut s’en remettre, mais plutôt au « non-né dont Kṛṣṇa n’est que la manifestation externe ». Il n’y a pas de différence entre les aspects interne et externe de Kṛṣṇa, aussi, quiconque pense pouvoir appréhender le message de la Bhagavad-gītā sans même connaître cette notion n’est qu’un insensé.

Texte

na hi prapaśyāmi mamāpanudyād
yac chokam ucchoṣaṇam indriyāṇām
avāpya bhūmāv asapatnam ṛddhaṁ
rājyaṁ surāṇām api cādhipatyam

Synonyms

na: ne pas; hi: certes; prapaśyāmi: je vois; mama: ma; apanudyāt: peut écarter; yat: ce qui; śokam: lamentation; ucchoṣaṇam: desséchant; indriyāṇām: les sens; avāpya: en obtenant; bhūmau: sur la terre; asapatnam: sans pareil; ṛddham: prospère; rājyam: un royaume; surāṇām: des devas; api: même; ca: aussi; ādhipatyam: la suprématie.

Translation

Je ne vois pas comment dissiper cette douleur qui m’assaille. Je n’y parviendrai pas, même si je conquiers ici-bas un royaume prospère à nul autre pareil sur lequel régner tel un deva dans le ciel.

Purport

Bien qu’Arjuna avance nombre d’arguments fondés sur sa connaissance des principes religieux et des codes moraux, il se montre incapable de résoudre son véritable problème sans l’aide de son maître spirituel, Kṛṣṇa. Il se rend compte que son prétendu savoir ne lui est d’aucun secours, qu’il ne peut chasser le désarroi qui l’accable. Seul un maître spirituel comme Kṛṣṇa pourra l’aider à sortir de sa confusion. Le savoir académique, l’érudition, les hautes fonctions, etc., ne nous permettent pas d’apporter une solution aux problèmes de la vie. Seul un maître spirituel comme Kṛṣṇa peut nous aider. En guise de conclusion, nous dirons que le maître spirituel authentique est celui qui est pleinement conscient de Kṛṣṇa et qui sait élucider l’ensemble des problèmes liés à l’existence en ce monde. Śrī Caitanya explique que le véritable maître spirituel est celui qui, indépendamment de sa position sociale, maîtrise la science de la conscience de Kṛṣṇa:

kibā vipra, kibā nyāsī, śūdra kene naya
yei kṛṣṇa-tattva-vettā, sei ‘guru’ haya

« Peu importe que l’on soit un vipra (érudit versé dans la sagesse védique), que l’on soit issu d’une humble famille ou que l’on ait adopté l’ordre du renoncement, si l’on est maître dans la science de Kṛṣṇa, on est de fait un maître spirituel authentique et accompli. »

Ainsi, à moins de maîtriser la science de la conscience de Kṛṣṇa, nul ne peut être un maître spirituel digne de ce nom. Les Écrits védiques enseignent par ailleurs:

ṣaṭ-karma-nipuṇo vipro
mantra-tantra-viśāradaḥ
avaiṣṇavo gurur na syād
vaiṣṇavaḥ śva-paco guruḥ

« Même le brāhmaṇa érudit, expert dans tous les domaines du savoir védique, ne peut devenir maître spirituel s’il n’est pas un vaiṣṇava parfaitement versé dans la science de Kṛṣṇa. Par contre, le vaiṣṇava, l’être conscient de Kṛṣṇa, peut devenir maître spirituel même s’il est issu d’une humble catégorie sociale. »

L’accroissement des richesses et le développement économique ne peuvent nous aider à vaincre les problèmes de l’existence, à savoir la naissance, la maladie, la vieillesse et la mort. Il y a bien à travers le monde des États riches à l’économie florissante, où les citoyens vivent dans une grande aisance, mais les problèmes de l’existence y sont aussi présents qu’ailleurs. On cherche la paix par toute sorte de moyens, mais on ne connaîtra le vrai bonheur que lorsqu’on aura consulté Kṛṣṇa, ou la Bhagavad-gītā et le Śrīmad-Bhāgavatam qui renferment la science de Kṛṣṇa, par l’intermédiaire du représentant autorisé de Dieu, le dévot de Kṛṣṇa.

Si l’essor économique et le confort matériel pouvaient dissiper les anxiétés que nous apportent les problèmes familiaux, sociaux, nationaux ou internationaux, Arjuna ne dirait pas qu’un royaume inégalé sur terre ou une suprématie comparable à celle des devas sur les planètes édéniques ne pourraient en rien apaiser sa douleur. Il cherche refuge dans la conscience de Kṛṣṇa, la voie qui conduit vraiment à la paix et à l’harmonie, plutôt que dans la richesse matérielle ou la domination du monde. À n’importe quel moment une catastrophe naturelle peut réduire à néant la prospérité de l’homme ou son empire sur la terre. Quand bien même parviendrait-on à se rendre sur une planète supérieure et à s’y établir comme on s’efforce maintenant de le faire avec la lune, l’on peut tout perdre en un instant. C’est ce que confirme la Bhagavad-gītā (9.21) par les mots: kṣīṇe puṇye martya-lokaṁ viśanti – « Quand il a consommé le fruit de ses actes pieux, l’homme retombe et passe d’un état de plaisir extrême à la plus basse des conditions. » Nombreux d’ailleurs sont les politiciens qui connaissent semblable déchéance. De telles chutes ne font que causer plus de lamentation encore.

Par conséquent, si nous voulons définitivement apaiser nos tourments, nous devons, à l’exemple d’Arjuna, nous en remettre à Kṛṣṇa. Arjuna demande à Kṛṣṇa de résoudre une fois pour toutes son problème, ce qui est le principe même de la conscience de Kṛṣṇa.

Texte

sañjaya uvāca
evam uktvā hṛṣīkeśaṁ
guḍākeśaḥ paran-tapaḥ
na yotsya iti govindam
uktvā tūṣṇīṁ babhūva ha

Synonyms

sañjayaḥ uvāca: Sañjaya dit; evam: ainsi; uktvā: parlant; hṛṣīkeśam: à Kṛṣṇa, le maître des sens; guḍākeśaḥ: Arjuna, maître dans l’art de vaincre l’ignorance; param-tapaḥ: celui qui châtie l’ennemi; na yotsye: je ne combattrai pas; iti: ainsi; govindam: à Kṛṣṇa, source de plaisir pour les sens; uktvā: disant; tūṣṇīm: silencieux; babhūva: devint; ha: certes.

Translation

Sañjaya dit: Ayant ainsi parlé, Arjuna, vainqueur de l’ennemi, dit à Kṛṣṇa: « Ô Govinda, je ne combattrai pas », puis se tait.

Purport

Dhṛtarāṣṭra doit être bien heureux d’apprendre qu’au lieu de combattre, Arjuna s’apprête à quitter le champ de bataille pour vivre de mendicité, mais simultanément, Sañjaya lui ôte tout espoir quand il affirme qu’Arjuna est tout à fait capable d’anéantir ses ennemis (paran-tapaḥ). Bien que temporairement sous le coup d’un abattement irraisonné dû à l’affection qu’il porte à sa famille, Arjuna a su s’abandonner à Kṛṣṇa, le maître spirituel suprême, en devenant Son disciple. Cette attitude laisse présager que prendront bientôt fin les tourments que lui infligent ses attachements. Illuminé par la connaissance parfaite de la réalisation spirituelle, la conscience de Kṛṣṇa, il se battra jusqu’au bout. Dhṛtarāṣṭra verra donc ses espoirs s’évanouir.

Texte

tam uvāca hṛṣīkeśaḥ
prahasann iva bhārata
senayor ubhayor madhye
viṣīdantam idaṁ vacaḥ

Synonyms

tam: à lui; uvāca: dit; hṛṣīkeśaḥ: Kṛṣṇa, le maître des sens; prahasan: en souriant; iva: de cette façon; bhārata: ô Dhṛtarāṣṭra, descendant de Bharata; senayoḥ: des armées; ubhayoḥ: des deux camps; madhye: au milieu; viṣīdantam: à celui qui est en proie à la lamentation; idam: suivantes; vacaḥ: les paroles.

Translation

Ô descendant de Bharata, Kṛṣṇa, souriant, S’adresse alors, entre les deux armées, au malheureux Arjuna.

Purport

Il s’agissait jusqu’ici du dialogue de deux amis intimes: Hṛṣīkeśa et Guḍākeśa. Comme tels, ils se trouvaient sur un pied d’égalité, mais à présent, l’un d’eux se fait volontairement l’élève de l’autre. Kṛṣṇa sourit parce que Son ami souhaite devenir Son disciple. En tant que Seigneur de tous les êtres, Sa position est toujours supérieure, mais Il accepte d’être l’ami, le fils, ou l’amant du dévot qui désire Le voir jouer un tel rôle. À partir du moment où Arjuna fait de Kṛṣṇa son maître spirituel, Celui-ci en assume tout de suite le rôle et parle comme un maître à un disciple, c’est-à-dire gravement. Notons que cet échange entre maître et disciple se déroule ouvertement devant les combattants des deux armées, de sorte que tous en bénéficient. Les enseignements de la Bhagavad-gītā ne sont pas réservés à une personne, une société ou une communauté en particulier, mais s’adressent à tous sans discrimination. Amis et ennemis y ont également droit.

Texte

śrī-bhagavān uvāca
aśocyān anvaśocas tvaṁ
prajñā-vādāṁś ca bhāṣase
gatāsūn agatāsūṁś ca
nānuśocanti paṇḍitāḥ

Synonyms

śrī-bhagavān uvāca: Dieu, la Personne Suprême, dit; aśocyān: ne justifiant pas l’affliction; anvaśocaḥ: tu t’affliges; tvam: toi; prajñā-vādān: des paroles instruites; ca: aussi; bhāṣase: prononçant; gata: perdue; asūn: la vie; agata: non perdue; asūn: la vie; ca: aussi; na: jamais; anuśocanti: ne pleurent; paṇḍitāḥ: les sages.

Translation

Dieu, la Personne Suprême, dit: Bien que tu tiennes de savants discours, tu t’affliges pour ce qui n’en vaut pas la peine. Les sages ne pleurent ni les vivants ni les morts.

Purport

The Lord at once took the position of the teacher and chastised the student, calling him, indirectly, a fool. The Lord said, “You are talking like a learned man, but you do not know that one who is learned – one who knows what is body and what is soul – does not lament for any stage of the body, neither in the living nor in the dead condition.” As explained in later chapters, it will be clear that knowledge means to know matter and spirit and the controller of both. Arjuna argued that religious principles should be given more importance than politics or sociology, but he did not know that knowledge of matter, soul and the Supreme is even more important than religious formularies. And because he was lacking in that knowledge, he should not have posed himself as a very learned man. As he did not happen to be a very learned man, he was consequently lamenting for something which was unworthy of lamentation. The body is born and is destined to be vanquished today or tomorrow; therefore the body is not as important as the soul. One who knows this is actually learned, and for him there is no cause for lamentation, regardless of the condition of the material body.

Texte

na tv evāhaṁ jātu nāsaṁ
na tvaṁ neme janādhipāḥ
na caiva na bhaviṣyāmaḥ
sarve vayam ataḥ param

Synonyms

na: jamais; tu: mais; eva: certainement; aham: Je; jātu: à aucun moment; na: ne pas; āsam: existais; na: ne pas; tvam: toi; na: ne pas; ime: tous ces; jana-adhipāḥ: rois; na: jamais; ca: aussi; eva: certainement; na: ne pas; bhaviṣyāmaḥ: existerons; sarve vayam: nous tous; ataḥ param: à l’avenir.

Translation

Jamais ne fut le temps où nous n’existions, Moi, toi et tous ces rois, et jamais aucun de nous ne cessera d’être.

Purport

Les Védas, plus particulièrement la Kaṭha Upaniṣad et la Śvetāśvatara Upaniṣad, enseignent que Dieu, la Personne Suprême, veille au maintien d’innombrables entités vivantes tout en tenant compte de leur condition respective, déterminée chacune par leurs actes et leurs conséquences. Il est également présent dans le cœur de tous à travers Ses émanations plénières. Seules les âmes saintes qui Le voient à l’intérieur et à l’extérieur de toute chose accèdent à la paix véritable, parfaite et éternelle.

nityo nityānāṁ cetanaś cetanānām
eko bahūnāṁ yo vidadhāti kāmān
tam ātma-sthaṁ ye ’nupaśyanti dhīrās
teṣāṁ śāntiḥ śāśvatī netareṣām

(Kaṭha Upaniṣad 2.2.13)

Cette vérité transmise à Arjuna s’adresse également à tous ceux qui, en ce monde, se targuent d’une haute érudition alors que leur connaissance accuse d’importantes lacunes. Le Seigneur affirme clairement que Lui-même, Arjuna, les rois réunis sur le champ de bataille, ont tous éternellement une individualité propre. Il assure en tout temps la protection de chacun, qu’il soit conditionné ou libéré. Dieu, la Personne Suprême, est l’être individuel par excellence, et Arjuna, Son compagnon éternel, mais aussi les rois assemblés là, sont tous également des personnes distinctes et éternelles. Ce n’est pas qu’ils n’existaient pas en tant qu’individus par le passé ou qu’ils ne le seront plus dans le futur. Leur individualité a toujours été et le sera toujours. Il n’y a donc pas lieu de s’apitoyer sur le sort de qui que ce soit.

Śrī Kṛṣṇa, l’autorité suprême, ne soutient pas dans ce verset la théorie māyāvādī qui prétend que l’âme individuelle, séparée à l’origine par le voile de māyā, l’illusion, se fond dans le Brahman impersonnel au moment de la libération, et perd ainsi son individualité. Il ne soutient pas non plus la théorie qui dit que l’individualité n’existe qu’à l’état conditionné. Il déclare au contraire sans détour, comme le font les Upaniṣads, que Lui-même, mais aussi tous les êtres, conservent éternellement leur individualité. Le bien-fondé de cette affirmation ne fait aucun doute car Kṛṣṇa n’est jamais en proie à l’illusion. Si l’individualité éternelle des êtres n’était un fait avéré, Kṛṣṇa ne la soulignerait pas avec autant d’insistance. Les māyāvādīs prétendent que l’individualité dont parle Kṛṣṇa n’est pas spirituelle mais matérielle. Or, si l’on admet que l’individualité soit matérielle, en quoi se distingue alors l’individualité de Kṛṣṇa ? Il affirme Lui-même qu’Il était un être individuel par le passé, et nous assure qu’Il le demeurera dans le futur. Non seulement Kṛṣṇa a-t-Il confirmé Son individualité de plusieurs façons, mais Il a également expliqué que le Brahman impersonnel Lui est subordonné. Par ailleurs, si on Le rabaisse au rang des âmes conditionnées, la Bhagavad-gītā ne peut plus être considérée comme une Écriture autorisée. Un homme ordinaire, soumis aux quatre imperfections inhérentes à la nature humaine, ne peut donner aucun enseignement digne d’être entendu. La Bhagavad-gītā surpasse tout écrit d’inspiration humaine et aucun ouvrage profane ne saurait lui être comparé. Si donc on considérait Kṛṣṇa comme un homme ordinaire, la Gītā perdrait toute sa valeur.

Les māyāvādīs soutiennent que la pluralité dont fait état le présent verset est purement conventionnelle et ne concerne que le corps. Or, dans les versets précédents, Kṛṣṇa a dénoncé une telle identification de l’être au corps. Comment, dès lors, pourrait-Il réintroduire ici une théorie se rapportant au corps ? Non, l’individualité a trait à la nature spirituelle, comme le confirment de grands ācāryas tel Rāmānuja.

La Gītā stipule de façon explicite en plusieurs endroits que seuls les dévots du Seigneur sont à même de comprendre l’individualité spirituelle. Par contre, les envieux qui jalousent la Personnalité Divine de Kṛṣṇa ne seront jamais en mesure d’accéder avec justesse à cette œuvre grandiose. La manière dont les non-dévots abordent les enseignements de la Gītā nous fait penser aux abeilles qui lèchent les pourtours d’un pot de miel, mais qui, parce qu’il est fermé, ne peuvent s’en délecter. Ainsi en est-il du mysticisme de la Bhagavad-gītā qui ne peut être compris et apprécié que des dévots du Seigneur. Comme on le verra au chapitre quatre, nul autre ne peut savourer ce nectar. En définitive, les envieux qui vont jusqu’à nier l’existence de Dieu ne peuvent pas même s’en approcher. Dès lors, l’interprétation māyāvādī de la Gītā s’avère être une présentation mensongère de la vérité. Śrī Caitanya nous a d’ailleurs interdit de lire tout commentaire māyāvādī et averti que quiconque adhérerait à ce genre de philosophie perdrait toute possibilité de percer le véritable mystère de la Gītā. Si l’individualité se limitait à l’univers empirique, le Seigneur n’aurait que faire de nous livrer Son enseignement. L’individualité des âmes distinctes et du Seigneur est une réalité éternelle, attestée, nous l’avons vu, par les Védas.

Texte

dehino ’smin yathā dehe
kaumāraṁ yauvanaṁ jarā
tathā dehāntara-prāptir
dhīras tatra na muhyati

Synonyms

dehinaḥ: de l’âme incarnée; asmin: dans ce; yathā: comme; dehe: dans le corps; kaumāram: l’enfance; yauvanam: la jeunesse; jarā: la vieillesse; tathā: de même; deha-antara: du changement de corps; prāptiḥ: l’accomplissement; dhīraḥ: l’homme réfléchi; tatra: à ce propos; na: jamais; muhyati: n’est déconcerté.

Translation

Au moment de la mort, l’âme change de corps, tout comme elle est passée dans le précédent de l’enfance à la jeunesse, puis de la jeunesse à la vieillesse. Le sage n’est pas troublé par ce changement.

Purport

Parce qu’il est une âme individuelle, l’être voit son corps changer à chaque instant, se manifestant tantôt sous la forme d’un enfant, tantôt sous celle d’un adolescent, d’un adulte ou d’un vieillard. L’âme spirituelle, elle, reste la même. Elle ne subit aucun changement. Et quand finalement, la mort arrive, elle transmigre dans un autre corps. Donc, puisque l’âme est assurée d’avoir un autre corps – matériel ou spirituel – dans une vie prochaine, Arjuna n’a aucune raison de s’apitoyer sur la mort éventuelle de Bhīṣma ou de Droṇa. Il devrait se réjouir au contraire de les voir échanger leur vieux corps contre un neuf et recouvrer ainsi l’énergie de leur jeunesse. Tout changement de corps nous apporte son lot de joies ou de souffrances, selon ce que furent nos actes passés. Bhīṣma et Droṇa, étant de nobles âmes, ne manqueront pas d’obtenir dans leur prochaine vie un corps spirituel, ou tout du moins un corps qui leur permettra d’avoir sur les planètes édéniques des plaisirs supérieurs. Aussi, qu’ils aillent ici ou là après leur mort, il n’y a nulle raison de s’inquiéter de leur destinée.

Est qualifié de dhīra, de réfléchi, celui qui connaît parfaitement la nature de l’âme distincte et de l’Âme Suprême et qui connaît également les natures matérielle et spirituelle. Il n’est pas troublé par les changements de corps.

La théorie māyāvādī sur l’unicité de l’âme spirituelle n’a aucun fondement puisque l’âme ne peut être divisée. Si l’Âme Suprême pouvait être sectionnée en une multitude d’âmes individuelles, Elle serait divisible et mutable, alors qu’en réalité, Elle est immuable. La Gītā dit que les parcelles de l’Être Suprême, les âmes distinctes, existent de toute éternité (sanātana) et sont kṣaras, susceptibles de tomber sous le joug de la nature matérielle. Toutefois les âmes individuelles conservent à jamais leur statut de parties distinctes, même après avoir atteint la libération spirituelle. Une fois délivrées de la matière, elles obtiennent de vivre éternellement auprès de Dieu, la Personne Suprême, dans la connaissance et la félicité absolues.

On pourrait appliquer à l’Âme Suprême – le Paramātmā présent en chaque être mais néanmoins différent de l’âme individuelle habitant chacun de ces corps – le principe de la réflexion. Lorsque le ciel se reflète dans l’eau, l’image réfléchie est aussi bien celle du soleil et de la lune que celle des étoiles. Les étoiles sont semblables aux âmes distinctes, et le soleil, ou la lune, à l’Âme Suprême. L’âme spirituelle infinitésimale est ici représentée par Arjuna, et l’Âme Suprême par Kṛṣṇa, Dieu en personne. Mais comme le montrera avec précision le début du quatrième chapitre, l’un et l’autre ne sont pas au même niveau. Si Arjuna était l’égal de Kṛṣṇa, ou si Kṛṣṇa n’était pas supérieur à Arjuna, leur relation de maître à disciple n’aurait aucun sens. S’ils étaient tous deux fourvoyés par l’énergie illusoire (māyā), il ne servirait à rien que l’un instruise l’autre – un tel enseignement serait sans valeur, car nul n’est un maître autorisé s’il se trouve sous l’emprise de māyā. Si donc l’on prend en compte ce qui vient d’être dit jusqu’ici, il devient facile d’admettre que Kṛṣṇa est le Seigneur Suprême, et qu’Il occupe une position supérieure à celle d’Arjuna, âme oublieuse égarée par māyā.

Texte

mātrā-sparśās tu kaunteya
śītoṣṇa-sukha-duḥkha-dāḥ
āgamāpāyino ’nityās
tāṁs titikṣasva bhārata

Synonyms

mātrā-sparśāḥ: des perceptions sensorielles; tu: seulement; kaunteya: ô fils de Kuntī; śīta: l’hiver; uṣṇa: l’été; sukha: le bonheur; duḥkha: et le malheur; dāḥ: engendrant; āgama: apparaissant; apāyinaḥ: disparaissant; anityāḥ: impermanentes; tān: elles toutes; titikṣasva: efforce-toi de tolérer; bhārata: ô descendant de la dynastie Bharata.

Translation

Éphémères, joies et peines, comme étés et hivers, vont et viennent, ô fils de Kuntī. Elles procèdent de la perception des sens, ô descendant de Bharata. Il faut apprendre à les tolérer, sans en être affecté.

Purport

Pour accomplir son devoir correctement, il faut apprendre à tolérer les manifestations éphémères des joies et des peines. Les Védas nous recommandent, par exemple, de prendre un bain matinal, même pendant le mois de māgha (janvier-février). Bien qu’il fasse très froid en cette période de l’année, celui qui observe les principes religieux n’hésite pas à se baigner tout comme une femme n’hésite pas à supporter la chaleur accablante de la cuisine pour préparer un repas en plein été. Quelles que soient les conditions climatiques, chacun doit s’acquitter de son devoir. Ainsi du kṣatriya qui, même s’il doit combattre parents et amis, ne peut délaisser son devoir. Nous devons respecter les règles et les principes religieux si nous voulons nous élever au niveau de la connaissance spirituelle, car seule la connaissance et la dévotion permettent d’échapper aux griffes de l’illusion (māyā).

Les deux noms donnés à Arjuna sont également significatifs: « Kaunteya » souligne son haut lignage maternel, et « Bhārata », sa noblesse paternelle. D’un côté comme de l’autre, il est censé appartenir à un noble lignage. Fort d’un tel héritage, il lui incombe de s’acquitter convenablement de son devoir. Il ne peut donc éviter le combat.

Texte

yaṁ hi na vyathayanty ete
puruṣaṁ puruṣarṣabha
sama-duḥkha-sukhaṁ dhīraṁ
so ’mṛtatvāya kalpate

Synonyms

yam: celui pour qui; hi: certainement; na: jamais; vyathayanti: ne sont sources de désarroi; ete: toutes ces choses; puruṣam: à une personne; puruṣa-ṛṣabha: ô meilleur des hommes; sama: impassible; duḥkha: dans le malheur; sukham: et dans le bonheur; dhīram: imperturbable; saḥ: lui; amṛtatvāya: pour la libération; kalpate: est considéré éligible.

Translation

Ô meilleur des hommes [Arjuna], celui que n’affectent ni le bonheur ni le malheur, et qui demeure imperturbable en présence de l’un comme de l’autre, est certes digne de la libération.

Purport

Quiconque est fermement déterminé à atteindre les hautes sphères de la réalisation spirituelle et parvient à tolérer aussi bien les assauts du malheur que ceux du bonheur, se qualifie pour atteindre la libération. Dans le cadre de l’institution du varṇāśrama, le quatrième stade de l’existence humaine, l’ordre du renoncement (sannyāsa) implique un mode de vie très rigoureux. Néanmoins, l’homme désirant sérieusement parfaire son existence n’hésite pas à embrasser l’ordre du sannyāsa, en dépit des difficultés qu’un tel choix ne peut manquer de provoquer. Plus particulièrement quand il s’agit de rompre avec les siens et de quitter sa femme et ses enfants. Celui toutefois qui parvient à endurer ces épreuves est assuré d’atteindre le but de la réalisation spirituelle. De la même manière, Kṛṣṇa conseille à Arjuna de persévérer dans l’accomplissement de ses devoirs de kṣatriya, même s’il lui est pénible de combattre ceux qu’il aime. Lorsque Śrī Caitanya prit l’ordre du sannyāsa à vingt-quatre ans, il n’y eut plus personne pour veiller sur Sa jeune femme et Sa vieille mère. Mais parce qu’Il poursuivait un dessein supérieur, Il resta ferme dans Sa décision et S’acquitta avec constance de Ses devoirs spirituels. C’est seulement de cette façon que l’on parvient à se libérer de l’emprisonnement matériel.

Texte

nāsato vidyate bhāvo
nābhāvo vidyate sataḥ
ubhayor api dṛṣṭo ’ntas
tv anayos tattva-darśibhiḥ

Synonyms

na: jamais; asataḥ: du non-existant (de ce qui n’a pas d’existence à proprement parler); vidyate: il n’y a; bhāvaḥ: de durée; na: jamais; abhāvaḥ: de nature changeante; vidyate: il n’y a; sataḥ: de ce qui existe éternellement; ubhayoḥ: des deux; api: en vérité; dṛṣṭaḥ: observée; antaḥ: la conclusion; tu: assurément; anayoḥ: d’eux; tattva: la vérité; darśibhiḥ: ceux qui voient.

Translation

Ceux qui voient la vérité ont conclu, après avoir étudié leurs natures respectives, à l’impermanence du non-existant [le corps matériel] et à l’immuabilité de l’éternel [l’âme spirituelle].

Purport

L’existence d’un corps matériel en constante mutation ne peut indéfiniment se prolonger. La médecine moderne admet que les cellules du corps connaissent à chaque instant des transformations qui sont à l’origine de sa croissance, puis de sa décrépitude. Mais l’âme existe en permanence et demeure telle quelle malgré les changements que subissent le corps et le mental. Voilà ce qui différencie la matière de l’esprit. Le corps change sans cesse tandis que l’âme est immuable. Ceux qui voient la Vérité, impersonnalistes ou personnalistes, en sont tous parvenus à cette conclusion. Par conséquent, les mots « existant » (sat) et « non-existant » (asat) renvoient respectivement à l’esprit et à la matière. C’est pour cela que le Viṣṇu Purāṇa (2.12.38) indique que Viṣṇu et les planètes sur lesquelles Il réside sont purement spirituels et de ce fait génèrent leur propre lumière (jyotīṁṣi viṣṇur bhuvanāni viṣṇuḥ).

Telles sont les premières instructions que le Seigneur donne aux âmes que l’ignorance égare. Pour vaincre l’ignorance, on doit rétablir la relation éternelle qui lie l’adorateur et l’objet d’adoration, et donc comprendre ce qui différencie le Seigneur Suprême des êtres vivants, parcelles infimes de Sa personne. On pénétrera la nature de l’Être Suprême si l’on étudie chacun minutieusement sa propre nature, en prenant conscience que ce qui nous distingue de Lui n’est autre que ce qui distingue la partie du tout.

Le Vedānta-sūtra et le Śrīmad-Bhāgavatam reconnaissent en l’Être Suprême l’origine de toutes les manifestations qui, selon une hiérarchie naturelle, sont soit de nature inférieure soit de nature supérieure. Comme l’expliquera le septième chapitre, les êtres vivants appartiennent à l’énergie supérieure. Bien qu’il n’y ait pas de différence fondamentale entre l’énergie et la source énergétique, il est dit que la source est suprême et l’énergie subordonnée. Les êtres vivants sont donc toujours subordonnés au Seigneur, comme les serviteurs au maître ou les élèves au professeur. Or il est impossible à un homme de comprendre cette vérité évidente tant qu’il est sous l’emprise de l’ignorance. Le Seigneur énonce donc la Bhagavad-gītā pour dissiper cette ignorance et éclairer les êtres vivants pour tous les temps à venir.

Texte

avināśi tu tad viddhi
yena sarvam idaṁ tatam
vināśam avyayasyāsya
na kaścit kartum arhati

Synonyms

avināśi: impérissable; tu: mais; tat: cela; viddhi: sache; yena: par quoi; sarvam: tout le corps; idam: cela; tatam: pénétré; vināśam: la destruction; avyayasya: de l’impérissable; asya: de cela; na kaścit: nul; kartum: faire; arhati: n’est capable de.

Translation

Sache que ce qui pénètre le corps tout entier est indestructible. Nul ne peut détruire l’âme impérissable.

Purport

Ce verset traite avec plus de précision de la nature réelle de l’âme dont l’influence s’étend au corps entier. Chacun d’entre nous comprendra que la conscience est présente dans l’ensemble de notre corps, car nous ressentons tous les plaisirs et les douleurs qu’il éprouve; mais là se limite, toutefois, le champ d’expérimentation de notre conscience. Les plaisirs et les douleurs que ressentent les autres nous sont inconnus. Chaque corps est donc l’enveloppe grossière d’une âme distincte, dont la présence est perceptible à travers la conscience individuelle. La taille de l’âme est le dix-millième de la pointe d’un cheveu, ainsi que le confirme la Śvetāśvatara Upaniṣad (5.9):

bālāgra-śata-bhāgasya
śatadhā kalpitasya ca
bhāgo jīvaḥ sa vijñeyaḥ
sa cānantyāya kalpate

« Lorsqu’on divise la pointe d’un cheveu en cent parties, chacune redivisée en cent autres parties, on trouve la juste mesure de l’âme. » De la même manière, il est dit:

keśāgra-śata-bhāgasya
śatāṁśaḥ sādṛśātmakaḥ
jīvaḥ sūkṣma-svarūpo ’yaṁ
saṅkhyātīto hi cit-kaṇaḥ

« Il existe d’innombrables atomes spirituels, dont la taille est d’un dix-millième de la pointe d’un cheveu. »

L’âme distincte est donc un atome spirituel, plus petit que les atomes matériels. Ces atomes spirituels existent en nombre infini. Chacune de ces minuscules étincelles spirituelles est le principe vital du corps matériel. Tout comme le principe actif d’un médicament agit dans le corps entier, l’influence de l’âme se manifeste dans tout le corps sous la forme de la conscience, qui est la preuve vivante de sa présence. Nul n’ignore que privé de conscience, le corps n’est qu’un objet inerte qu’aucun procédé matériel ne peut ranimer. Par suite, il est clair que la conscience provient de l’âme, et non de quelque combinaison d’éléments matériels. La Muṇḍaka Upaniṣad (3.1.9) donne elle aussi la mesure de l’âme infinitésimale:

eṣo ’ṇur ātmā cetasā veditavyo
yasmin prāṇaḥ pañcadhā saṁviveśa
prāṇaiś cittaṁ sarvam otaṁ prajānāṁ
yasmin viśuddhe vibhavaty eṣa ātmā

« L’intelligence parfaite peut percevoir l’âme, de dimension atomique. Sise dans le cœur et portée par cinq sortes d’air (prāṇa, apāna, vyāna, samāna et udāna), elle dispense son énergie à tout le corps. Une fois purifiée de la contamination des cinq airs matériels, elle dévoile sa puissance spirituelle. »

Le haṭha-yoga sert à contrôler, au moyen de postures diverses, les cinq sortes d’air enveloppant l’âme pure, non pour en tirer quelque profit matériel, mais pour libérer l’âme infime de la matière qui l’emprisonne.

Les Textes védiques s’accordent tous sur cette définition de la constitution atomique de l’âme dont tout homme sain d’esprit peut vérifier l’authenticité par expérience directe. Seul un insensé prendra cette étincelle spirituelle pour le viṣṇu-tattva omniprésent.

La Muṇḍaka Upaniṣad situe donc l’âme infinitésimale dans le cœur, d’où elle exerce son influence sur l’ensemble du corps. Néanmoins certains chercheurs matérialistes nient son existence, parce qu’à cause de sa taille infime elle échappe à leur pouvoir d’observation. Il est pourtant évident que si l’énergie nécessaire au fonctionnement de l’organisme provient du cœur, c’est que l’âme distincte et l’Âme Suprême s’y trouvent l’une et l’autre. Les globules sanguins, qui transportent l’oxygène emmagasiné dans les poumons, tirent leur énergie de l’âme. C’est pourquoi le sang cesse de remplir ses fonctions d’agent de fusionnement dès que l’âme quitte le corps. La science médicale est dans l’incapacité de vérifier que l’âme fournit au corps son énergie vitale, mais elle accepte toutefois l’importance des globules rouges et admet que le cœur est le siège de toutes les énergies corporelles.

On pourrait comparer ces parties atomiques du Tout spirituel aux innombrables particules lumineuses des rayons du soleil, car elles sont des étincelles de la radiance du Seigneur Suprême (prabhā, l’énergie supérieure). Que l’on suive les Écritures védiques ou la science moderne, on ne peut nier l’existence de l’âme dans le corps. Et Dieu Lui-même expose très clairement la science de l’âme dans la Bhagavad-gītā.

Texte

antavanta ime dehā
nityasyoktāḥ śarīriṇaḥ
anāśino ’prameyasya
tasmād yudhyasva bhārata

Synonyms

anta-vantaḥ: périssables; ime: tous ces; dehāḥ: corps matériels; nityasya: existant éternellement; uktāḥ: il est dit que; śarīriṇaḥ: l’âme incarnée; anāśinaḥ: ne pouvant jamais être détruite; aprameyasya: immensurable; tasmāt: donc; yudhyasva: combats; bhārata: ô descendant de Bharata.

Translation

Le corps matériel de l’âme indestructible, éternelle et sans mesure, est voué à une fin certaine. Fort de ce savoir, combats, ô descendant de Bharata.

Purport

Le corps matériel est, par définition, périssable. Que ce soit maintenant ou dans cent ans, il mourra; ce n’est qu’une question de temps. Il est impossible de le maintenir indéfiniment en vie. L’âme par contre est de taille si infime qu’elle ne peut pas être vue, que dire d’être tuée. Le verset précédent explique que sa petitesse la rend difficilement mesurable. Dans l’un et l’autre cas donc, il n’y a pas lieu de se lamenter, puisqu’on ne peut tuer l’être lui-même, l’âme, et qu’il est impossible de protéger ou de conserver indéfiniment le corps.

Il est essentiel d’observer les principes religieux car le corps matériel dans lequel l’âme, cette infime parcelle du tout, se réincarne est le fruit des actes accomplis dans cette vie. Le Vedānta-sūtra qualifie l’être vivant de « lumière », car il fait partie intégrante de la lumière suprême. La lumière de l’âme maintient le corps matériel en vie, exactement comme la lumière du soleil préserve l’univers entier. Et dès que l’âme quitte le corps, celui-ci se décompose. Ce qui prouve que c’est bien l’âme qui maintient le corps en vie et que le corps en lui-même importe peu. C’est également la raison pour laquelle Kṛṣṇa conseille à Arjuna de combattre et de ne pas substituer à son devoir religieux des considérations matérielles et corporelles.

Texte

ya enaṁ vetti hantāraṁ
yaś cainaṁ manyate hatam
ubhau tau na vijānīto
nāyaṁ hanti na hanyate

Synonyms

yaḥ: quiconque; enam: cela; vetti: connaît; hantāram: le tueur; yaḥ: quiconque; ca: aussi; enam: cela; manyate: pense; hatam: tué; ubhau: tous deux; tau: ils; na: jamais; vijānītaḥ: n’ont la connaissance; na: jamais; ayam: cela; hanti: tue; na: non plus; hanyate: est tué.

Translation

Ceux qui pensent que l’âme peut donner la mort ou elle-même périr sont des ignorants; elle ne peut ni tuer ni être tuée.

Purport

Comprenons bien que lorsque quelqu’un est fatalement atteint par une arme, l’être dans le corps n’est pas tué. Comme le montreront les prochains versets, l’âme est si petite qu’aucune arme matérielle ne peut l’atteindre; de nature spirituelle, elle est immortelle. Seul le corps est sujet à la mort. Notons bien qu’un tel savoir n’a pas pour objet d’encourager le meurtre. Les Védas nous enjoignent de ne jamais user de violence envers autrui: mā hiṁsyāt sarvā bhūtāni. Savoir que l’être véritable ne meurt jamais n’autorise pas non plus l’abattage des animaux. Ôter la vie au corps sans autorisation scripturaire est un acte abominable punissable par les lois humaine et divine. Arjuna doit cependant tuer, mais pour sauvegarder les principes de la religion, et non arbitrairement.

Texte

na jāyate mriyate vā kadācin
nāyaṁ bhūtvā bhavitā vā na bhūyaḥ
ajo nityaḥ śāśvato ’yaṁ purāṇo
na hanyate hanyamāne śarīre

Synonyms

na: jamais; jāyate: ne naît; mriyate: ne meurt; vā: ou; kadācit: à aucun moment (passé, présent ou futur); na: jamais; ayam: cela; bhūtvā: étant venu au monde; bhavitā: vient à être; vā: ou; na: ne; bhūyaḥ: ou viendra à être; ajaḥ: non né; nityaḥ: éternel; śāśvataḥ: permanent; ayam: cela; purāṇaḥ: le plus ancien; na: jamais; hanyate: n’est tué; hanyamāne: étant tué; śarīre: le corps.

Translation

Jamais l’âme ne naît ni ne meurt. Elle n’eut jamais de commencement et n’en aura jamais. Non née, éternelle, immortelle et primordiale, elle ne périt pas avec le corps.

Purport

D’un point de vue qualitatif, on peut dire que l’âme infinitésimale ne fait qu’un avec l’Être Suprême. Elle n’est pas, comme le corps, en perpétuelle mutation; c’est pourquoi on la dit parfois kūṭa-stha, « immuable ». Le corps traverse, au cours de son existence, six étapes: il naît de la matrice d’une mère, grandit, se stabilise, engendre une descendance, vieillit, et finalement meurt pour retomber dans l’oubli. L’âme, elle, n’a pas à muter ainsi. Elle est non née, et ce n’est que parce qu’elle revêt une enveloppe charnelle que le corps naît. Elle n’est donc pas créée à l’instant où le corps se forme, pas plus qu’elle ne meurt au moment où celui-ci rend le dernier souffle. Seul ce qui naît doit mourir. Et parce qu’elle ne naît pas, l’âme ne connaît ni passé, ni présent, ni futur. Elle est éternelle, immortelle et originelle. On ne peut retrouver dans le temps l’origine de son existence. Mais parce que le corps est soumis à la naissance et à la mort, on pense que l’âme y est également astreinte. Or, si le corps vieillit, l’âme ne vieillit jamais. Le vieillard se sent intérieurement le même que l’enfant ou le jeune homme qu’il fut, car les changements du corps n’affectent pas l’âme. Elle ne dépérit pas comme le fait l’arbre ou tout autre objet matériel et n’engendre pas non plus de descendance. Les êtres produits par le corps sont des âmes distinctes également, et s’ils sont les enfants de tel ou tel parent, c’est seulement à cause de la relation corporelle qui les unit. Le corps se développe au contact de l’âme sans que celle-ci ne soit sujette au moindre changement, ne soit à l’origine d’une descendance ou ne soit astreinte aux six phases d’évolution du corps.

Un des versets de la Kaṭha Upaniṣad (1.2.18) est presque identique à celui qui nous occupe:

na jāyate mriyate vā vipaścin
nāyaṁ kutaścin na babhūva kaścit
ajo nityaḥ śāśvato ’yaṁ purāṇo
na hanyate hanyamāne śarīre

La traduction et le sens de ce verset sont les mêmes que celui de la Bhagavad-gītā, à la différence près qu’on y trouve un mot particulier, vipaścit, qui signifie « érudit », « doté de savoir ».

Comme l’âme est toujours pleinement consciente et connaissante, on dit que la conscience est la manifestation perceptible de l’âme. C’est pourquoi, si nous ne pouvons percevoir l’âme dans le cœur, son lieu de résidence, nous pouvons toujours appréhender son existence par le biais de la conscience. Il arrive que le soleil soit caché par des nuages, pourtant nous savons qu’il fait jour, car la lumière ambiante indique qu’il est toujours présent. Dès qu’à l’aube pointe une faible lueur, nous savons que le soleil s’est levé. Pareillement, puisqu’une conscience anime tous les corps, humains ou animaux, nous savons que l’âme est présente en chacun. La conscience de l’âme distincte diffère pourtant de celle de Dieu, dans le sens où la conscience suprême possède la connaissance intégrale du passé, du présent et de l’avenir, alors que la conscience de l’être infime, au contraire, est sujette à l’oubli. Puisque l’homme ne se souvient plus de sa vraie nature, Kṛṣṇa l’instruit et l’éclaire par Son enseignement. Du reste, si Kṛṣṇa n’était pas différent de l’âme oublieuse, l’enseignement qu’Il donne dans la Bhagavad-gītā serait vain.

La Kaṭha Upaniṣad (1.2.20) confirme l’existence de deux sortes d’âmes: l’âme distincte, infinitésimale (aṇu-ātmā) et l’Âme Suprême (vibhu-ātmā):

aṇor aṇīyān mahato mahīyān
ātmāsya jantor nihito guhāyām
tam akratuḥ paśyati vīta-śoko
dhātuḥ prasādān mahimānam ātmanaḥ

« L’Âme Suprême (Paramātmā) et l’âme infinitésimale (jīvātmā) se trouvent toutes deux sur un même arbre, le corps de l’être animé, plus précisément dans son cœur. Celui qui s’est libéré de tout désir matériel et qui ne se lamente plus peut seul comprendre, par la grâce du Suprême, les gloires de l’âme. »

Comme nous le verrons dans les prochains chapitres, Kṛṣṇa est la source de l’Âme Suprême, et Arjuna représente l’âme infinitésimale oublieuse de sa véritable nature. Il a donc besoin d’être éclairé par les enseignements du Seigneur ou de Son représentant qualifié, le maître spirituel.

Texte

vedāvināśinaṁ nityaṁ
ya enam ajam avyayam
kathaṁ sa puruṣaḥ pārtha
kaṁ ghātayati hanti kam

Synonyms

veda: sait; avināśinam: indestructible; nityam: toujours existante; yaḥ: celui qui; enam: cette (âme); ajam: non née; avyayam: immuable; katham: comment; saḥ: cette; puruṣaḥ: personne; pārtha: ô Arjuna, fils de Pṛthā; kam: qui; ghātayati: fait faire du mal; hanti: tue; kam: qui.

Translation

Comment une personne qui sait que l’âme est indestructible, éternelle, non née et immuable, ô Pārtha, pourrait-elle tuer ou faire tuer ?

Purport

Chaque chose a sa raison d’être. L’homme qui possède la connaissance parfaite sait où et comment tout utiliser. Ainsi de la violence qui est parfois utile. L’homme qui détient le savoir sait comment en user. Lorsqu’un juge condamne un meurtrier à la peine capitale, nul ne peut le blâmer, car l’usage qu’il fait de la violence est conforme au code pénal. La Manu-saṁhitā, le Livre des lois de l’humanité, explique qu’un meurtrier doit être condamné à mort pour ne pas avoir à subir dans sa vie prochaine les redoutables conséquences de son geste. La condamnation à mort, en ce cas, est un acte bénéfique. De la même façon, lorsque Kṛṣṇa demande que l’on use de violence, c’est afin de servir la justice suprême. Arjuna doit donc obéir, sachant bien que l’homme, ou mieux l’âme, n’est pas sujette à la mort, et que la violence engagée au service de Kṛṣṇa dans une bataille n’est pas, à proprement parler, de la violence. Une opération chirurgicale n’a pas pour objet de tuer, mais bien de guérir. Aussi, le combat qu’Arjuna doit livrer sur l’ordre de Kṛṣṇa est fait en pleine connaissance. Aucune réaction pécheresse n’en résultera.

Texte

vāsāṁsi jīrṇāni yathā vihāya
navāni gṛhṇāti naro ’parāṇi
tathā śarīrāṇi vihāya jīrṇāny
anyāni saṁyāti navāni dehī

Synonyms

vāsāṁsi: des vêtements; jīrṇāni: vieux et déchirés; yathā: tout comme; vihāya: abandonnant; navāni: des vêtements neufs; gṛhṇāti: prend; naraḥ: un homme; aparāṇi: les autres; tathā: de la même façon; śarīrāṇi: corps; vihāya: abandonnant; jīrṇāni: vieux et inutiles; anyāni: différents; saṁyāti: prend en vérité; navāni: de nouveaux ensembles; dehī: l’âme incarnée.

Translation

De même qu’on se défait d’un vêtement usé pour en revêtir un neuf, l’âme abandonne l’ancien corps devenu inutile pour en prendre un nouveau.

Purport

Que l’âme distincte change de corps est un fait reconnu. Même la science moderne, qui ne croit pas en l’existence de l’âme, mais qui, simultanément, ne peut expliquer d’où provient l’énergie émanant du cœur, est obligée de reconnaître les continuelles transformations du corps: enfance, adolescence, maturité, vieillesse. Ensuite le changement se poursuit dans un autre corps, comme l’a expliqué le treizième verset de ce chapitre.

C’est par la grâce de l’Âme Suprême que l’âme distincte est transférée d’un corps à l’autre. Elle comble les souhaits de l’âme infinitésimale, tout comme on satisfait les désirs d’un ami. Les Védas, telles la Muṇḍaka Upaniṣad et la Śvetāśvatara Upaniṣad, comparent ces deux âmes à deux oiseaux liés d’amitié et perchés sur un même arbre. Alors que l’un d’eux (l’âme infinitésimale) goûte les fruits de l’arbre, l’autre (Kṛṣṇa, l’Âme Suprême) l’observe. Ces deux oiseaux sont de même nature, mais l’un est captivé par les fruits de l’arbre matériel, tandis que l’autre se contente d’observer les mouvements de Son ami. Kṛṣṇa est cet oiseau-témoin, Arjuna l’oiseau qui mange. Ce sont deux amis, mais l’un est maître, l’autre serviteur. L’oubli de cette relation oblige l’âme infinitésimale (jīva) à voler d’arbre en arbre, c’est-àdire d’un corps à l’autre. Le jīva, perché sur l’arbre du corps, mène un dur combat pour vivre, mais dès qu’il reconnaît en l’autre oiseau le maître spirituel suprême – comme le fit Arjuna qui s’abandonna volontairement au Seigneur pour recevoir Ses instructions – il ne souffre plus. La Muṇḍaka Upaniṣad (3.1.2) et la Śvetāśvatara Upaniṣad (4.7) le confirment:

samāne vṛkṣe puruṣo nimagno
’nīśayā śocati muhyamānaḥ
juṣṭaṁ yadā paśyaty anyam īśam
asya mahimānam iti vīta-śokaḥ

« Des deux oiseaux qui vivent sur le même arbre, seul celui qui en goûte les fruits se désole et s’angoisse. Toutefois, si par bonheur il se tourne vers le Seigneur, son ami, et vient à connaître Ses gloires, ses souffrances et ses angoisses disparaissent. » Arjuna s’est maintenant tourné vers Kṛṣṇa, son éternel ami, et, guidé par Lui, pénètre la sagesse de la Bhagavad-gītā. Attentif aux paroles de Kṛṣṇa, il comprend les gloires de Dieu et ne connaît plus la lamentation.

Le Seigneur conseille à Arjuna de ne pas s’attrister du changement de corps qu’auront à subir son grand-père et son précepteur. Il devrait se réjouir au contraire de pouvoir détruire leur corps dans ce juste combat, car un tel acte les libérera des suites de leurs actions passées. En effet, celui qui meurt en sacrifiant sa vie sur l’autel d’un juste combat échappe d’un coup à toutes les conséquences de ses actes et se trouve promu à un niveau d’existence supérieur. Arjuna n’a donc aucune raison de se lamenter.

Texte

nainaṁ chindanti śastrāṇi
nainaṁ dahati pāvakaḥ
na cainaṁ kledayanty āpo
na śoṣayati mārutaḥ

Synonyms

na: jamais; enam: cette âme; chindanti: ne peuvent tailler en pièces; śastrāṇi: les armes; na: jamais; enam: cette âme; dahati: ne brûle; pāvakaḥ: le feu; na: jamais; ca: aussi; enam: cette âme; kledayanti: ne mouille; āpaḥ: l’eau; na: jamais; śoṣayati: ne dessèche; mārutaḥ: le vent.

Translation

Aucune arme ne peut fendre l’âme, ni le feu la brûler. L’eau ne peut la mouiller, ni le vent la dessécher.

Purport

Aucune arme ne peut détruire l’âme, qu’il s’agisse de sabres ou d’armes produisant feu, pluie, tornade ou autres phénomènes. Ce verset laisse entendre qu’on utilisait à l’époque d’Arjuna, non seulement des armes à feu comparables aux nôtres, mais encore des armes à base de terre, d’eau, d’air et d’éther. Les bombes nucléaires d’aujourd’hui font partie des armes à base de feu. Or, pour riposter à de telles armes, on se servait en ces temps d’un arsenal dont la science moderne n’a aucune idée. Contre les armes à feu, on utilisait l’eau comme élément actif. Il y avait des « armes-tornades » dont la science ignore également tout. Néanmoins, quel que soit le degré d’avancement de la science, aucune arme ne pourra jamais ni couper l’âme en morceaux, ni l’anéantir.

Les māyāvādīs ne peuvent nous donner une explication satisfaisante avec leur théorie qui veut que l’âme distincte ne serait venue à l’existence que par l’action de l’ignorance et, par conséquent, serait maintenant recouverte par l’énergie illusoire. Il n’est pas possible non plus que l’âme individuelle ait été coupée à un moment donné de l’Âme Suprême originelle. Bien au contraire, les âmes spirituelles sont éternellement distinctes, séparées de l’Âme Suprême. Parce qu’elles sont éternellement (sanātana) infinitésimales et individuelles, l’énergie illusoire peut les recouvrir, et ainsi les couper du contact avec le Seigneur Suprême, tout comme les étincelles, pourtant semblables au feu en qualité, s’éteignent lorsqu’elles en sont séparées.

Dans le Varāha Purāṇa, mais également dans la Bhagavad-gītā, on décrit les êtres vivants comme étant des fragments du Seigneur, éternellement distincts de Lui. Kṛṣṇa indique en termes clairs dans Ses enseignements à Arjuna que, même libéré du joug de l’illusion, l’être vivant garde son individualité. Arjuna obtint la libération après avoir reçu de Kṛṣṇa la connaissance, mais jamais il ne se fondit en Lui pour ne plus faire qu’un.

Texte

acchedyo ’yam adāhyo ’yam
akledyo ’śoṣya eva ca
nityaḥ sarva-gataḥ sthāṇur
acalo ’yaṁ sanātanaḥ

Synonyms

acchedyaḥ: ne peut être brisée; ayam: cette âme; adāhyaḥ: ne peut être brûlée; ayam: cette âme; akledyaḥ: insoluble; aśoṣyaḥ: ne peut être desséchée; eva: certes; ca: et; nityaḥ: immortelle; sarva-gataḥ: omniprésente; sthāṇuḥ: inchangeable; acalaḥ: fixe; ayam: cette âme; sanātanaḥ: éternellement la même.

Translation

L’âme distincte est indivisible et insoluble; ni le feu, ni le vent n’ont de prise sur elle. Immortelle, partout présente, inaltérable et fixe, elle reste éternellement la même.

Purport

Ces divers qualificatifs de l’âme prouvent de façon définitive qu’elle demeure éternellement une particule infime du Tout spirituel, qu’elle conserve à jamais son individualité propre et qu’elle ne connaît aucun changement. La théorie moniste, qui prétend que l’âme distincte et le Tout spirituel sont une seule et même chose, est inapplicable ici. En réalité, après s’être affranchie de la contamination matérielle, l’âme infinitésimale peut, si elle le désire, demeurer comme une étincelle dans l’éclat irradiant émanant de Dieu, ou faire preuve d’une intelligence supérieure en se rendant sur l’une des planètes spirituelles pour y vivre auprès de la Personne Suprême.

Le mot sarva-gata, qui signifie « omniprésent », est très significatif, car les êtres vivants sont partout présents dans la création de Dieu. Ils vivent sur terre, dans l’eau, dans l’air, sous terre et même dans le feu. On croit généralement que le feu détruit toute vie, mais ce verset dit en toutes lettres que l’âme ne peut être brûlée par le feu. Il ne fait donc aucun doute que des êtres, dont le corps est spécifiquement adapté, vivent sur le soleil. Dans le cas contraire, le mot sarva-gata n’aurait aucun sens.

Texte

avyakto ’yam acintyo ’yam
avikāryo ’yam ucyate
tasmād evaṁ viditvainaṁ
nānuśocitum arhasi

Synonyms

avyaktaḥ: invisible; ayam: cette âme; acintyaḥ: inconcevable; ayam: cette âme; avikāryaḥ: inchangeable; ayam: cette âme; ucyate: est dite; tasmāt: donc; evam: comme cela; viditvā: le sachant bien; enam: cette âme; na: ne pas; anuśocitum: de te lamenter sur; arhasi: tu mérites.

Translation

L’âme est dite invisible, inconcevable et immuable. Sachant cela, tu ne devrais pas t’apitoyer sur le corps.

Purport

L’âme, telle que les versets précédents l’ont décrite, est de taille si infime que même le plus puissant de nos microscopes ne peut la déceler. Pour cette raison on la dit invisible. Son existence ne peut donc être attestée de façon expérimentale, mais par la seule sagesse védique, śruti. Nous devons accepter cette vérité comme un fait établi, puisque nous n’avons pas d’autre moyen de vérifier son existence, bien que, par la perception que nous en avons, sa présence dans le corps soit incontestable. Combien de choses ne devons-nous d’ailleurs pas accepter sur les seuls dires d’une autorité ? Nul ne contestera l’autorité de sa mère concernant l’existence et l’identité de son père, puisqu’il n’est d’autre preuve que sa parole. De même, seule l’étude des Védas nous permettra de comprendre la nature de l’âme. En d’autres termes, le savoir expérimental de l’homme ne peut donner accès à la connaissance de l’âme. L’âme est conscience et aussi consciente, disent les Védas. Nous devons accepter telle quelle cette assertion. Contrairement au corps, elle ne subit aucune transformation. Et, parce qu’elle est éternellement la même, l’âme infinitésimale demeure toujours un « atome » en comparaison de l’Âme Suprême infinie: elle ne peut jamais égaler Dieu. Les Védas exposent cette conception de l’âme en de nombreux endroits et de diverses manières afin de démontrer son authenticité. La répétition d’une idée est parfois nécessaire pour qu’on la comprenne sous tous ses aspects et sans la moindre ambiguïté.

Texte

atha cainaṁ nitya-jātaṁ
nityaṁ vā manyase mṛtam
tathāpi tvaṁ mahā-bāho
nainaṁ śocitum arhasi

Synonyms

atha: si, toutefois; ca: aussi; enam: cette âme; nitya-jātam: sans cesse née; nityam: à jamais; vā: ou; manyase: tu penses ainsi; mṛtam: morte; tathā api: quand même; tvam: toi; mahā-bāho: ô toi dont les bras sont puissants; na: jamais; enam: à propos de l’âme; śocitum: de te lamenter; arhasi: tu ne mérites.

Translation

Et même si tu penses que l’âme meurt et renaît sans fin, tu n’as pas plus de raison de te lamenter, ô Arjuna aux bras puissants.

Purport

Il existe depuis toujours une catégorie de philosophes, proches des bouddhistes, qui n’admettent pas l’existence d’une âme séparée du corps. À l’époque où Kṛṣṇa énonça la Bhagavad-gītā, on leur donnait les noms de lokāyatikas et vaibhāṣikas. Pour eux, les symptômes de la vie apparaissent lorsque la combinaison des éléments matériels est parachevée. La science et les philosophies athées d’aujourd’hui sont de cet avis. Le corps serait d’après elles un amalgame d’éléments physiques et chimiques qui, à un certain stade d’interaction, produirait la vie. Toute l’anthropologie repose sur cette thèse. De nombreuses pseudo-religions – très à la mode de nos jours – adhèrent à cette philosophie, ou à celle des écoles bouddhistes nihilistes et non dévotionnelles.

Même si, à l’instar de la philosophie vaibhāṣika, Arjuna avait nié l’existence d’une âme éternelle, il n’aurait tout de même aucune raison de se lamenter. Qui verserait des larmes pour un amas d’éléments chimiques et, pour cela, négligerait de remplir son devoir ? La recherche scientifique moderne et l’armée ne gaspillent-elles pas des tonnes de produits chimiques pour vaincre l’ennemi. La philosophie vaibhāṣika soutient que l’ātmā, l’âme, périt avec le corps. Aussi, qu’il adhère aux conclusions des Védas – à savoir qu’il existe une âme infinitésimale – ou qu’il nie l’existence de l’âme éternelle, Arjuna n’a aucune raison de se lamenter. Puisque, selon la théorie vaibhāṣika, des multitudes d’êtres vivants naissent de la matière et périssent à chaque instant, il n’y a pas lieu de s’en attrister. Et puisque, toujours selon cette thèse, la renaissance n’existe pas, Arjuna n’a pas à craindre les conséquences du péché que représenterait la mort de son grand-père et de son précepteur. Kṛṣṇa, donc, n’acceptant pas la théorie des vaibhāṣikas qui néglige la sagesse védique, ironiquement appelle Arjuna mahā-bāhu, « aux bras puissants ». En tant que kṣatriya, Arjuna appartient à la culture védique et doit se conformer à ses principes.

Texte

jātasya hi dhruvo mṛtyur
dhruvaṁ janma mṛtasya ca
tasmād aparihārye ’rthe
na tvaṁ śocitum arhasi

Synonyms

jātasya: de celui qui a pris naissance; hi: certes; dhruvaḥ: un fait; mṛtyuḥ: la mort; dhruvam: c’est aussi un fait; janma: la naissance; mṛtasya: de celui qui est mort; ca: aussi; tasmāt: donc; aparihārye: ce qui est inévitable; arthe: en matière de; na: ne pas; tvam: toi; śocitum: te lamenter; arhasi: tu mérites.

Translation

La mort est certaine pour qui naît, et certaine la naissance pour qui meurt. Aussi, puisque tu ne peux te soustraire à ton devoir, tu ne devrais pas t’affliger de la sorte.

Purport

À la fin d’une vie, il nous faut mourir pour renaître, et ce sont les actes accomplis dans cette vie qui déterminent les conditions de notre renaissance. Ainsi la roue des morts et des renaissances tourne sans que nul n’y échappe. La loi des morts et des renaissances n’encourage toutefois pas les meurtres, les massacres et les guerres inutiles, même si parfois, afin de préserver la loi et l’ordre dans la société, l’homme doit faire usage de violence.

La bataille de Kurukṣetra est inévitable, car elle est souhaitée par le Suprême; par ailleurs, le devoir du kṣatriya exige qu’il combatte pour une juste cause. Pourquoi donc Arjuna, en s’acquittant simplement de son devoir, devrait-il être effrayé ou chagriné à l’idée que la mort puisse frapper ses proches lors d’un tel combat ? Il ne mérite pas d’enfreindre le code des kṣatriyas et de s’exposer ainsi aux conséquences fâcheuses qu’il redoute tant. En manquant à son devoir, il ne pourrait, de toute manière, empêcher la mort des membres de sa famille, et connaîtrait de surcroît la déchéance pour avoir choisi la mauvaise voie.

Texte

avyaktādīni bhūtāni
vyakta-madhyāni bhārata
avyakta-nidhanāny eva
tatra kā paridevanā

Synonyms

avyakta-ādīni: non manifesté au début; bhūtāni: tout ce qui est créé; vyakta: manifesté; madhyāni: au milieu; bhārata: ô descendant de Bharata; avyakta: non manifesté; nidhanāni: une fois anéanti; eva: tout est comme cela; tatra: donc; kā: quelle; paridevanā: lamentation.

Translation

Tous les êtres créés sont à l’origine non manifestés. Ils se manifestent dans leur phase transitoire, puis retournent à l’état non manifesté une fois anéantis. À quoi bon s’en attrister, ô descendant de Bharata ?

Purport

On rencontre deux types de philosophes, celui qui croit en l’existence de l’âme et celui qui n’y croit pas. Or, l’un et l’autre n’ont aucune raison de se lamenter. Les hommes qui suivent les principes de la sagesse védique appellent « athées » ceux qui nient l’existence de l’âme. Or, en supposant que l’on accepte la philosophie athée, quelle raison peut-on avoir de se plaindre ? Même sans considérer l’âme, qui a une existence séparée, les éléments matériels existaient déjà à l’état non manifesté avant la création. De cet état subtil provient l’état manifesté: l’éther engendre l’air, l’air le feu, le feu l’eau, l’eau la terre, et la terre une variété de phénomènes. Prenons l’exemple d’un gratte-ciel en démolition: assemblage d’éléments issus de la terre, il est passé de l’état manifesté à celui de non manifesté, pour finalement se décomposer en une masse d’atomes. La loi de la conservation de l’énergie opère sans discontinuer, mais les objets sont tantôt manifestés, tantôt non manifestés. Pourquoi donc se lamenter ? Même redevenus non manifestés, ils ne sont pas perdus. À l’origine comme à la fin de toute chose, tout est non manifesté; la manifestation n’apparaît qu’au stade intermédiaire. Or, matériellement parlant, cette différence n’a pas de réelle importance.

Si l’on accepte la conclusion des Écrits védiques énoncée dans la Bhagavad-gītā, à savoir que le corps matériel périt avec le temps (antavanta ime dehāḥ) alors que l’âme est éternelle (nityasyoktāḥ śarīriṇaḥ), on a toujours conscience que le corps n’est qu’un vêtement et qu’il n’y a pas lieu de pleurer un vêtement. Le corps matériel n’a pas d’existence réelle par rapport à l’âme. En un sens, il est comme un rêve. Nous pouvons rêver que nous volons ou que nous sommes un roi sur son char, mais au réveil, nous voyons bien qu’il n’en est rien. La sagesse des Écritures védiques encourage la réalisation spirituelle en démontrant la non-existence du corps matériel. Par conséquent, que l’on croie ou non en l’existence de l’âme, il n’y a nulle raison de se lamenter sur la perte du corps.

Texte

āścarya-vat paśyati kaścid enam
āścarya-vad vadati tathaiva cānyaḥ
āścarya-vac cainam anyaḥ śṛṇoti
śrutvāpy enaṁ veda na caiva kaścit

Synonyms

āścarya-vat: comme extraordinaire; paśyati: voit; kaścit: quelqu’un; enam: cette âme; āścarya-vat: comme extraordinaire; vadati: parle; tathā: ainsi; eva: certes; ca: aussi; anyaḥ: un autre; āścarya-vat: pareillement extraordinaire; ca: aussi; enam: cette âme; anyaḥ: un autre; śṛṇoti: entend; śrutvā: ayant entendu; api: même; enam: cette âme; veda: ne connaît; na: jamais; ca: et; eva: certes; kaścit: quiconque.

Translation

Certains voient en l’âme un phénomène prodigieux; d’autres en parlent comme d’une étonnante merveille; d’autres encore en entendent parler comme d’une chose incroyable. Il en est cependant qui, même après en avoir entendu parler, ne peuvent la comprendre.

Purport

Comme la Gītopaniṣad s’appuie pour l’essentiel sur les principes des Upaniṣads, il n’est guère étonnant de trouver dans la Kaṭha Upaniṣad (1.2.7) le verset suivant:

śravaṇayāpi bahubhir yo na labhyaḥ
śṛṇvanto ’pi bahavo yaṁ na vidyuḥ
āścaryo vaktā kuśalo ’sya labdhā
āścaryo ’sya jñātā kuśalānuśiṣṭaḥ

Que l’âme infinitésimale soit présente, tant dans le corps d’un animal gigantesque, ou d’un énorme arbre banian, que dans les milliards de germes occupant chaque centimètre cube d’espace, est incontestablement quelque chose d’extraordinaire. Les hommes au maigre savoir et ceux qui ne sont pas austères ne peuvent comprendre ce qu’il y a de merveilleux dans cette étincelle spirituelle de la taille d’un atome, quand bien même la chose leur est expliquée par le plus grand maître, dont même Brahmā, le premier être créé de notre univers, a reçu les enseignements. En cet âge, à cause de leur vision matérialiste des choses, la plupart des gens ne peuvent concevoir qu’une particule si infime puisse prendre à la fois des formes si grandes et si petites.

Ainsi, certains s’émerveillent en voyant la constitution de l’âme, d’autres simplement en en écoutant la description. Illusionné par l’énergie matérielle, l’homme est constamment absorbé dans sa quête des plaisirs et n’a pas le temps de s’interroger sur son identité spirituelle. Or, sans cette indispensable connaissance de soi, tout ce qu’il fait dans sa lutte pour l’existence est voué à l’échec. Il ignore, apparemment, que pour mettre un terme aux souffrances matérielles, il faut s’interroger sur l’âme.

Certains, réellement désireux d’entendre parler de l’âme, assistent à de nombreuses conférences sur le sujet données par des personnes compétentes, mais parfois, par ignorance, ils font tout de même l’erreur de prendre pour une seule et même chose l’Âme Suprême et l’âme infinitésimale, sans distinction de grandeur. Il est très rare qu’un homme connaisse parfaitement la position de chacune, leurs fonctions respectives, leurs relations, et les détails qui leur sont propres. Et il est plus rare encore de trouver un homme qui ait pleinement tiré parti de la connaissance de l’âme, devenant ainsi capable d’expliquer tout ce qui y a trait. Mais si, d’une façon ou d’une autre, nous arrivons à comprendre le sujet de l’âme, notre vie sera alors un succès.

The easiest process for understanding the subject matter of self, however, is to accept the statements of the Bhagavad-gītā spoken by the greatest authority, Lord Kṛṣṇa, without being deviated by other theories. But it also requires a great deal of penance and sacrifice, either in this life or in the previous ones, before one is able to accept Kṛṣṇa as the Supreme Personality of Godhead. Kṛṣṇa can, however, be known as such by the causeless mercy of the pure devotee and by no other way.

Texte

dehī nityam avadhyo ’yaṁ
dehe sarvasya bhārata
tasmāt sarvāṇi bhūtāni
na tvaṁ śocitum arhasi

Synonyms

dehī: propriétaire du corps matériel; nityam: éternellement; avadhyaḥ: ne peut être tuée; ayam: cette âme; dehe: dans le corps; sarvasya: de tous; bhārata: ô descendant de Bharata; tasmāt: donc; sarvāṇi: tous; bhūtāni: les êtres créés; na: jamais; tvam: toi; śocitum: de te lamenter; arhasi: tu ne mérites.

Translation

Ce qui habite le corps, ô descendant de Bharata, ne peut jamais être tué. Tu n’as donc à pleurer personne.

Purport

Le Seigneur met fin par ce verset à Ses enseignements sur l’immuabilité de l’âme. En nous en décrivant les différents aspects, Kṛṣṇa nous a montré que l’âme est éternelle et le corps, éphémère. Ainsi éclairé, Arjuna, en tant que kṣatriya, doit remplir son devoir sans se laisser arrêter par le fait que son grand-père, Bhīṣma, et son maître, Droṇa, risquent d’être tués dans la bataille. Les paroles du Seigneur faisant autorité, nous devons accepter qu’il existe une âme distincte du corps matériel, et refuser de croire que les signes de la vie apparaissent à un certain stade de l’évolution de la matière, par une simple combinaison d’éléments chimiques. Cependant, bien que l’âme soit immortelle, la violence ne doit pas être encouragée, sauf en temps de guerre, lorsqu’elle est vraiment nécessaire. Mais c’est la sanction du Seigneur qui détermine cette nécessité, et non la fantaisie des individus.

Texte

sva-dharmam api cāvekṣya
na vikampitum arhasi
dharmyād dhi yuddhāc chreyo ’nyat
kṣatriyasya na vidyate

Synonyms

sva-dharmam: ses propres principes religieux; api: aussi; ca: bien sûr; avekṣya: considérant; na: jamais; vikampitum: d’hésiter; arhasi: tu ne mérites; dharmyāt: pour les principes religieux; hi: bien sûr; yuddhāt: que combattre; śreyaḥ: meilleure occupation; anyat: aucune autre; kṣatriyasya: pour le kṣatriya; na: ne; vidyate: existe.

Translation

Conscient de ton devoir de kṣatriya, tu devrais savoir qu’il n’y a pas de meilleure voie pour toi que de combattre en te conformant aux principes religieux. Tu n’as donc pas à hésiter.

Purport

Celui qui, dans le varṇāśrama-dharma, appartient au second varṇa, dont les membres ont pour fonction d’administrer l’État selon les vrais principes et de protéger les citoyens, porte le nom de kṣatriya (kṣat: « porter atteinte », trāyate: « protéger »). Jadis, on lui apprenait à combattre dans la forêt. Il devait affronter un tigre, armé d’un sabre. Une fois tué, le tigre était incinéré de façon royale. Jusqu’à récemment encore, les rois kṣatriyas de Jaipur ont perpétué cette tradition. Si les kṣatriyas apprennent à maîtriser parfaitement l’art de combattre, c’est qu’il est parfois nécessaire de recourir à la violence selon les principes religieux. Les kṣatriyas ne sont donc pas censés prendre directement l’ordre du sannyāsa, du renoncement. La non-violence en politique peut être un acte de diplomatie, mais elle n’est pas en soi un principe. On peut lire dans les livres de loi religieux:

āhaveṣu mitho ’nyonyaṁ
jighāṁsanto mahī-kṣitaḥ
yuddhamānāḥ paraṁ śaktyā
svargaṁ yānty aparāṅ-mukhāḥ
yajñeṣu paśavo brahman
hanyante satataṁ dvijaiḥ
saṁskṛtāḥ kila mantraiś ca
te ’pi svargam avāpnuvan

« Un brāhmaṇa peut atteindre les planètes édéniques s’il offre des animaux dans le feu sacrificiel, et un roi, ou kṣatriya, s’il meurt au combat contre un ennemi envieux. »

Par conséquent, tuer au combat pour préserver les principes religieux ou sacrifier des animaux dans le feu sacrificiel ne sont pas considérés comme des actes de violence, car tout le monde tire un bénéfice de l’observance des principes religieux sur lesquels ces actes se fondent. Les animaux offerts en sacrifice obtiennent directement un corps humain, sans avoir à transmigrer d’abord d’une espèce à l’autre. Quant aux brāhmaṇas qui dirigent le sacrifice, ils accèdent aux planètes édéniques, tout comme les kṣatriyas tués sur le champ de bataille.

Les devoirs spécifiques de l’homme (sva-dharma) sont de deux ordres. Tant qu’il est conditionné par la matière, l’homme doit, s’il veut obtenir la libération, s’acquitter des devoirs propres à la nature particulière de son corps selon les principes religieux. Et une fois libéré, l’homme continue d’accomplir son devoir spécifique, son sva-dharma, mais cette fois sur le plan spirituel, au-delà des concepts corporels. À l’état conditionné, brāhmaṇas et kṣatriyas ont chacun des devoirs particuliers, auxquels ils ne peuvent échapper. Comme nous le verrons dans le chapitre quatre, ces sva-dharmas ont été conçus par le Seigneur Lui-même. Sur le plan corporel, le sva-dharma porte le nom de varṇāśrama-dharma, où se font les premiers pas dans la vie spirituelle.

Le varṇāśrama-dharma, dans lequel un devoir particulier est assigné à chacun en fonction des modes d’influence matérielle propres au corps qu’il a revêtu, est au fondement de la véritable civilisation humaine. Et c’est en s’acquittant de ses devoirs dans les différents domaines d’activité, conformément au varṇāśrama-dharma, que l’homme parviendra à un niveau de vie supérieur.

Texte

yadṛcchayā copapannaṁ
svarga-dvāram apāvṛtam
sukhinaḥ kṣatriyāḥ pārtha
labhante yuddham īdṛśam

Synonyms

yadṛcchayā: venue spontanément; ca: aussi; upapannam: arrivés à; svarga: des planètes édéniques; dvāram: la porte; apāvṛtam: grande ouverte; sukhinaḥ: très heureux; kṣatriyāḥ: les membres de l’ordre royal; pārtha: ô fils de Pṛthā; labhante: obtiennent; yuddham: la guerre; īdṛśam: comme cela.

Translation

Heureux les kṣatriyas à qui s’offre incidemment l’occasion de combattre, ô Pārtha, car alors s’ouvre pour eux la porte des planètes de délices.

Purport

Kṛṣṇa, précepteur suprême de toute la création, condamne l’attitude d’Arjuna lorsque celui-ci déclare: « Je ne présage rien de bon de cette bataille, qui ne peut que nous mener en enfer. » Les propos d’Arjuna relèvent de l’ignorance. Il veut mêler la non-violence à l’accomplissement de son devoir propre, alors qu’un kṣatriya sur un champ de bataille ne peut, à moins de perdre la raison, opter pour la non-violence. Dans le Parāśara-smṛti, qui renferme les codes religieux promulgués par Parāśara (grand sage et père de Vyāsadeva), on trouve ces mots:

kṣatriyo hi prajā rakṣan
śastra-pāṇiḥ pradaṇḍayan
nirjitya para-sainyādi
kṣitiṁ dharmeṇa pālayet

« Le kṣatriya a pour devoir de protéger les citoyens de toute difficulté. C’est pourquoi, dans le but de maintenir la loi et l’ordre, il doit, en certains cas, user de violence. Il est tenu de vaincre les armées des rois ennemis pour gouverner le monde sur la base des principes religieux. »

Quel que soit l’angle sous lequel il se place, Arjuna n’a aucune raison d’éviter le combat. Vainqueur, il obtiendra le royaume, et s’il est tué, il verra s’ouvrir pour lui les portes des planètes édéniques. Quoi qu’il arrive, combattre lui sera favorable.

Texte

atha cet tvam imaṁ dharmyaṁ
saṅgrāmaṁ na kariṣyasi
tataḥ sva-dharmaṁ kīrtiṁ ca
hitvā pāpam avāpsyasi

Synonyms

atha: donc; cet: si; tvam: tu; imam: ce; dharmyam: comme un devoir religieux; saṅgrāmam: combat; na: ne pas; kariṣyasi: accomplis; tataḥ: alors; sva-dharmam: ton devoir religieux; kīrtim: la réputation; ca: aussi; hitvā: perdant; pāpam: la conséquence du péché; avāpsyasi: gagneras.

Translation

Par contre, si tu ne livres pas combat conformément à ton devoir sacré, tu pécheras pour avoir manqué à tes obligations. Tu perdras, du coup, ta réputation de guerrier.

Purport

Arjuna est un guerrier de grand renom. Il a acquis sa notoriété en combattant plusieurs des plus grands devas, dont Śiva lui-même qui, déguisé en chasseur, le défia un jour. Très satisfait de sa vaillance, Śiva lui offrit l’arme pāśupata-astra. Tous connaissaient donc la valeur d’Arjuna. Droṇācārya, son maître d’armes, l’avait également béni jadis, et lui avait fait don d’une arme à laquelle lui-même ne pouvait faire face. Toutes ces grandes personnalités, comme son père géniteur Indra (le roi des planètes édéniques), se portaient garantes de sa valeur militaire. S’il abandonne le combat, non seulement il négligera son devoir de kṣatriya, mais il perdra en outre sa réputation et se tracera un sentier royal vers les planètes infernales. Ce n’est donc pas en combattant qu’il risquera l’enfer, mais au contraire en désertant le champ de bataille.

Texte

akīrtiṁ cāpi bhūtāni
kathayiṣyanti te ’vyayām
sambhāvitasya cākīrtir
maraṇād atiricyate

Synonyms

akīrtim: de l’infamie; ca: aussi; api: par-dessus tout; bhūtāni: tout le monde; kathayiṣyanti: parlera; te: de toi; avyayām: à jamais; sambhāvitasya: pour un homme honorable; ca: aussi; akīrtiḥ: la mauvaise réputation; maraṇāt: que la mort; atiricyate: devient pire que.

Translation

Les hommes, à jamais, parleront de ton infamie, et pour un homme d’honneur, le déshonneur est pire que la mort.

Purport

Parce qu’Il est Son ami, mais aussi Son conseiller, Kṛṣṇa donne maintenant à Arjuna Son opinion définitive sur ce refus de combattre: « Arjuna, si tu désertes le champ de bataille, avant même que le combat ne soit engagé, on te traitera de lâche. Et si, en refusant la bataille, tu acceptes de voir ton nom souillé afin d’avoir la vie sauve, autant que Je t’avertisse, mieux vaut pour toi périr au combat. Le déshonneur est pire que la mort pour un homme de ton rang. Ne fuis pas par crainte pour ta vie. Mieux vaut périr les armes à la main, sauvé du déshonneur de n’avoir pas su tirer parti de Mon amitié et d’avoir perdu ton prestige parmi les hommes. »

Finalement, pour Kṛṣṇa, il est préférable qu’Arjuna meure sur le champ de bataille plutôt que de renoncer au combat.

Texte

bhayād raṇād uparataṁ
maṁsyante tvāṁ mahā-rathāḥ
yeṣāṁ ca tvaṁ bahu-mato
bhūtvā yāsyasi lāghavam

Synonyms

bhayāt: par peur; raṇāt: le champ de bataille; uparatam: as quitté; maṁsyante: considéreront; tvām: tu; mahā-rathāḥ: les grands généraux; yeṣām: de ceux qui; ca: aussi; tvam: toi; bahu-mataḥ: en haute estime; bhūtvā: ayant été; yāsyasi: tu iras; lāghavam: déprécié.

Translation

Les grands généraux qui estimaient hautement ton nom et ta gloire croiront que la peur seule t’a fait quitter le champ de bataille et te déconsidéreront.

Purport

Le Seigneur continue de donner Son point de vue à Arjuna: « Crois-tu que ces grands généraux, Duryodhana, Karṇa et les autres, croiront que tu abandonnes la lutte simplement par compassion pour tes frères et ton grand-père ? Ils penseront plutôt que c’est parce que tu as peur de mourir et ils perdront la haute estime qu’ils avaient pour toi. »

Texte

avācya-vādāṁś ca bahūn
vadiṣyanti tavāhitāḥ
nindantas tava sāmarthyaṁ
tato duḥkha-taraṁ nu kim

Synonyms

avācya: méchantes; vādān: des paroles inventées; ca: aussi; bahūn: plusieurs; vadiṣyanti: diront; tava: tes; ahitāḥ: ennemis; nindantaḥ: en vilipendant; tava: ta; sāmarthyam: valeur; tataḥ: que cela; duḥkha-taram: plus pénible; nu: bien sûr; kim: qu’y a-t-il ?.

Translation

Tes ennemis te couvriront de propos outrageants et railleront ta valeur. Peut-il y avoir situation plus pénible pour toi ?

Purport

Kṛṣṇa a été très étonné des propos déplacés d’Arjuna en faveur de la clémence et lui a expliqué que ce genre de compassion ne convient nullement à un āryan. Preuves à l’appui, Il lui fait part de Ses convictions quant à cette prétendue générosité.

Texte

hato vā prāpsyasi svargaṁ
jitvā vā bhokṣyase mahīm
tasmād uttiṣṭha kaunteya
yuddhāya kṛta-niścayaḥ

Synonyms

hataḥ: étant tué; vā: ou bien; prāpsyasi: tu gagneras; svargam: le royaume édénique; jitvā: étant vainqueur; vā: ou bien; bhokṣyase: tu jouiras du; mahīm: monde; tasmāt: donc; uttiṣṭha: lève-toi; kaunteya: ô fils de Kuntī; yuddhāya: à combattre; kṛta: déterminé; niścayaḥ: en toute certitude.

Translation

Ô fils de Kuntī, si tu meurs sur le champ de bataille, tu atteindras les planètes édéniques, et si tu sors vainqueur, tu jouiras du royaume de la terre. Lève-toi donc et combats résolument.

Purport

Bien que la victoire ne soit pas complètement assurée, Arjuna doit combattre; car même s’il est tué au combat, il pourra accéder aux planètes édéniques.

Texte

sukha-duḥkhe same kṛtvā
lābhālābhau jayājayau
tato yuddhāya yujyasva
naivaṁ pāpam avāpsyasi

Synonyms

sukha: dans le bonheur; duḥkhe: dans le malheur; same: avec équanimité; kṛtvā: ce faisant; lābha-alābhau: dans le gain comme dans la perte; jaya-ajayau: dans la victoire comme dans la défaite; tataḥ: ensuite; yuddhāya: uniquement pour combattre; yujyasva: combats; na: jamais; evam: de cette façon; pāpam: la réaction du péché; avāpsyasi: tu n’obtiendras.

Translation

Combats par devoir, sans considérer la joie ou la peine, la victoire ou la défaite, le gain ou la perte. Ainsi, jamais tu n’encourras de péché.

Purport

D’une manière très directe, Kṛṣṇa demande à Arjuna de combattre par devoir, parce que Lui le désire. Lorsqu’on agit pour Kṛṣṇa, on ne doit aucunement prendre en considération joie ou peine, gain ou perte, victoire ou défaite. Celui qui a une conscience transcendantale comprend que tous les actes n’ont d’autre finalité que la satisfaction du Seigneur. Ils n’entraînent alors aucune conséquence matérielle. Celui qui agit au contraire pour son propre plaisir, qu’il soit influencé par la vertu ou la passion, doit subir les conséquences de ses actes, bons ou mauvais. En s’abandonnant complètement au service de Kṛṣṇa, on n’a plus d’obligations envers qui que ce soit et l’on n’est plus le débiteur de quiconque, comme c’est généralement le cas pour le commun des hommes.

Le Śrīmad-Bhāgavatam (11.5.41) dit à ce propos:

devarṣi-bhūtāpta-nṛṇāṁ pitṝṇāṁ
na kiṅkaro nāyam ṛṇī ca rājan
sarvātmanā yaḥ śaraṇaṁ śaraṇyaṁ
gato mukundaṁ parihṛtya kartam

« Celui qui s’abandonne entièrement à Kṛṣṇa, Mukunda, et qui renonce à tout autre devoir, n’a plus d’obligation ou de dette envers quiconque, qu’il s’agisse des devas, des sages, des membres de sa famille, de ses ancêtres, ou même de l’ensemble de l’humanité. »

Texte

eṣā te ’bhihitā sāṅkhye
buddhir yoge tv imāṁ śṛṇu
buddhyā yukto yayā pārtha
karma-bandhaṁ prahāsyasi

Synonyms

eṣā: tout cela; te: à toi; abhihitā: décrit; sāṅkhye: par l’étude analytique du sāṅkhya; buddhiḥ: l’intelligence; yoge: par l’action sans résultats matériels; tu: mais; imām: ceci; śṛṇu: écoute; buddhyā: l’intelligence; yuktaḥ: en union avec; yayā: par quoi; pārtha: ô fils de Pṛthā; karma-bandham: l’enchaînement aux conséquences des actes; prahāsyasi: tu pourras être dégagé de.

Translation

Je t’ai jusqu’ici exposé ce savoir par l’étude analytique du sāṅkhya. Laisse-Moi maintenant te le présenter en termes d’action désintéressée. Quand tu agiras avec cette connaissance, ô fils de Pṛthā, tu pourras te libérer des chaînes de l’action.

Purport

Selon le Nirukti (dictionnaire védique), le mot saṅkhyā signifie littéralement « ce qui décrit les choses en détail », et le mot sāṅkhya désigne la philosophie décrivant la nature réelle de l’âme. Quant au yoga, il implique le contrôle des sens. Le refus de combattre d’Arjuna ne repose en fait que sur le désir de satisfaire ses sens. Oubliant son devoir premier, il veut abandonner la lutte, car il pense qu’il sera plus heureux en épargnant les membres de sa famille qu’en jouissant d’un royaume au prix du sang de ses frères et cousins, les fils de Dhṛtarāṣṭra. Dans un cas comme dans l’autre, ses motivations relèvent de la satisfaction des sens. Qu’il parle du bonheur que lui apportera la victoire ou de celui qu’il éprouvera en voyant sa famille sauve, il s’agit toujours de sa satisfaction propre, au mépris de la sagesse et du devoir. C’est pourquoi Kṛṣṇa veut lui démontrer qu’en tuant le corps de son aïeul, il ne détruira pas son âme. Tous les êtres, y compris le Seigneur, possèdent une individualité éternelle: ils étaient distincts dans le passé, le demeurent dans le présent, et le seront encore dans l’avenir. Nous sommes éternellement des âmes distinctes, et ne faisons que changer d’enveloppe, passant d’un corps à l’autre. Même libérés de l’emprise de l’enveloppe charnelle, nous gardons notre individualité. Le Seigneur a donc exposé avec précision la science analytique de l’âme et du corps.

Le dictionnaire Nirukti appelle sāṅkhya cette étude de l’âme et du corps sous tous ses aspects, ce qui n’a rien à voir avec la philosophie sāṅkhya énoncée par le penseur athée Kapila. Bien avant la venue de cet imposteur, l’authentique philosophie du sāṅkhya avait été exposée dans le Śrīmad-Bhāgavatam par le véritable Kapila – une incarnation divine de Kṛṣṇa – à Sa mère Devahūti. Kapila explique très clairement que le puruṣa, le Seigneur Suprême, est actif, et qu’Il crée en jetant Son regard sur la prakṛti (la nature matérielle). Cette notion est reconnue par la Bhagavad-gītā et par les Védas, où il est dit que le Seigneur, d’un simple regard, imprègne la prakṛti d’âmes distinctes infinitésimales. Une fois dans le monde matériel, les êtres se lancent à la poursuite des plaisirs et, ensorcelés par l’énergie illusoire, croient qu’ils vont pouvoir en jouir pleinement. Cette mentalité accompagne même parfois l’être jusqu’au stade de la libération où il tente de s’identifier à Dieu. C’est là le dernier piège que tend māyā, l’illusion du plaisir des sens. Et ce n’est qu’après de nombreuses vies vouées à la recherche de ces plaisirs qu’une grande âme, enfin, s’abandonne à Vāsudeva, Kṛṣṇa, le véritable but de la quête de la Vérité Absolue.

Parce qu’il s’en remet au Seigneur, Arjuna montre qu’il Le reconnaît comme son maître spirituel: śiṣyas te ’haṁ śādhi māṁ tvāṁ prapannam. Kṛṣṇa va donc à présent lui expliquer la nature et le sens des actes que l’on accomplit dans le cadre du buddhi-yoga, ou karma-yoga, soit en d’autres termes, la pratique du service de dévotion pour le seul plaisir du Seigneur. Le buddhi-yoga est clairement décrit dans le dixième verset du chapitre dix, comme une communion directe avec le Seigneur, qui réside dans le cœur de chacun sous la forme du Paramātmā. Communion à laquelle il est d’ailleurs impossible de parvenir sans servir le Seigneur avec amour. Celui qui Le sert avec dévotion dans la conscience de Kṛṣṇa arrive, grâce à une faveur très spéciale, au buddhi-yoga. Le Seigneur n’accorde la pure connaissance de la dévotion qu’à celui qui, avec un amour transcendantal, s’engage constamment dans Son service. En suivant cette voie, le dévot peut facilement rejoindre Dieu dans Son royaume d’éternelle félicité.

Dans ce verset, le buddhi-yoga représente le service de dévotion, et le mot sāṅkhya mentionné ici ne se réfère en rien au sāṅkhya-yoga du pseudo-Kapila. Nous ne devons pas faire l’erreur de confondre les deux. Non seulement cette philosophie athée n’avait aucune influence à l’époque où la bataille de Kurukṣetra eut lieu, mais en outre, Kṛṣṇa n’aurait jamais fait mention dans la Bhagavad-gītā de telles spéculations philosophiques. Et de surcroît, même l’authentique philosophie du sāṅkhya énoncée par Kapila dans le Śrīmad-Bhāgavatam n’entre pas dans le cadre de nos propos. Il s’agit ici de la description analytique du corps et de l’âme. Kṛṣṇa n’a d’autre but, lorsqu’Il analyse la nature de l’âme devant Arjuna, que d’amener Arjuna au buddhi-yoga, ou bhakti-yoga. Par conséquent, le sāṅkhya de Kṛṣṇa et celui de l’authentique Kapila traitent d’une seule et même chose: le bhakti-yoga. Aussi Kṛṣṇa précise-t-Il plus loin que seuls les ignorants dissocient le sāṅkhya-yoga du bhakti-yoga (sāṅkhya-yogau pṛthag bālāḥ pravadanti na paṇḍitāḥ).

L’autre sāṅkhya, celui des athées, n’a évidemment rien à voir avec le bhakti-yoga, mais les ignorants affirment que c’est de lui que parle la Bhagavad-gītā.

Comprenons donc que buddhi-yoga signifie « agir dans la conscience de Kṛṣṇa », c’est-à-dire servir le Seigneur avec dévotion, dans la connaissance et la félicité. Celui dont tous les actes tendent à réaliser cet objectif, quelles que soient les difficultés, suit les principes du buddhi-yoga et baigne continuellement dans la félicité spirituelle. Par la grâce du Seigneur, celui qui Le sert ainsi acquiert automatiquement tout le savoir transcendantal. Sa libération est donc, en elle-même, complète, sans qu’il ait eu à fournir d’efforts indépendants pour obtenir la connaissance.

L’action accomplie dans la conscience de Kṛṣṇa et l’action motivée par le résultat, plus particulièrement celle qui a pour objectif le bonheur familial et matériel, sont donc fondamentalement différentes. Le buddhi-yoga pourrait se définir comme l’état d’esprit transcendantal qui imprègne l’action.

Texte

nehābhikrama-nāśo ’sti
pratyavāyo na vidyate
sv-alpam apy asya dharmasya
trāyate mahato bhayāt

Synonyms

na: il n’y a pas; iha: dans ce yoga; abhikrama: en s’efforçant; nāśaḥ: de perte; asti: il n’y a; pratyavāyaḥ: de diminution; na: jamais; vidyate: il y a; su-alpam: un peu; api: bien que; asya: de cette; dharmasya: occupation; trāyate: libère; mahataḥ: d’un très grand; bhayāt: danger.

Translation

Aucun effort dans cette voie n’entraîne la moindre perte, et tout progrès, si modeste soit-il, prévient du plus redoutable danger.

Purport

L’action accomplie dans la conscience de Kṛṣṇa, qui vise à satisfaire le Seigneur en ne désirant rien pour soi-même, doit être considérée comme le sommet de l’action spirituelle. Le moindre effort dans ce sens ne sera jamais entravé et ne sera jamais vain. Sur le plan matériel, toute entreprise qui n’est pas menée jusqu’au bout est un échec, tandis que sur le plan spirituel, dans la conscience de Kṛṣṇa, la moindre activité, même inachevée, engendre des bienfaits permanents. Ce n’est jamais en vain qu’on agit pour le plaisir de Kṛṣṇa, même si l’entreprise n’est pas menée à terme. S’engager, même à un pour cent au service de Kṛṣṇa, donne des résultats permanents, et, à la reprise des activités spirituelles, on repart à deux pour cent, alors qu’avec les actes matériels, rien n’est acquis à moins d’agir à cent pour cent. Ajāmila, par exemple, qui n’avait pratiqué le service de dévotion que dans une faible proportion, n’en fut pas moins finalement récompensé à cent pour cent par la grâce du Seigneur. On trouve à ce propos dans le Śrīmad-Bhāgavatam (1.5.17):

tyaktvā sva-dharmaṁ caraṇāmbujaṁ harer
bhajann apakvo ’tha patet tato yadi
yatra kva vābhadram abhūd amuṣya kiṁ
ko vārtha āpto ’bhajatāṁ sva-dharmataḥ

« Que pourrait bien perdre celui qui abandonne ses occupations matérielles pour servir Kṛṣṇa, même si par la suite il choit sans avoir mené son service à terme ? Par contre, que gagnera celui qui mène à la perfection ses activités matérielles ? » Ou comme disent les chrétiens: « Que sert à l’homme de gagner le monde entier s’il perd la vie éternelle ? »

Les activités matérielles et leurs fruits prennent fin avec le corps, alors que l’action accomplie dans la conscience de Kṛṣṇa finit toujours par ramener son auteur à cette conscience spirituelle, même après la perte du corps. On est au moins assuré de reprendre une forme humaine et de renaître dans une famille de brāhmaṇas érudits, ou dans une famille riche et cultivée, et de continuer à progresser sur la voie spirituelle. Telle est l’incomparable qualité de l’action accomplie dans la conscience de Kṛṣṇa.

Texte

vyavasāyātmikā buddhir
ekeha kuru-nandana
bahu-śākhā hy anantāś ca
buddhayo ’vyavasāyinām

Synonyms

vyavasāya-ātmikā: résolus dans la conscience de Kṛṣṇa; buddhiḥ: intelligence; ekā: une seule; iha: en ce monde; kuru-nandana: ô enfant bien-aimé des Kurus; bahu-śākhāḥ: ayant diverses branches; hi: en effet; anantāḥ: illimitées; ca: aussi; buddhayaḥ: l’intelligence; avyavasāyinām: de ceux qui ne sont pas conscients de Kṛṣṇa.

Translation

Ceux qui empruntent cette voie se montrent résolus et poursuivent un but unique. Par contre, ô fils aimé des Kurus, l’intelligence de ceux qui n’ont pas cette détermination se perd en maintes directions.

Purport

La ferme conviction que par la conscience de Kṛṣṇa on sera élevé à la plus haute perfection de l’existence s’appelle l’intelligence vyavasāyātmikā. Le Caitanya-caritāmṛta (Madhya 22.62) dit à ce propos:

‘śraddhā’-śabde – viśvāsa kahe sudṛḍha niścaya
kṛṣṇe bhakti kaile sarva-karma kṛta haya

La foi, c’est la confiance totale en quelque chose de sublime. Celui qui remplit son devoir dans la conscience de Kṛṣṇa se voit dégagé de toutes les obligations matérielles traditionnelles, tant familiales que nationales ou humanitaires. Les actions intéressées sont les répercussions d’actes passés, bons ou mauvais. Mais l’être conscient de Kṛṣṇa n’a plus à s’efforcer de rendre ses actes favorables. Toutes ses actions se situent au niveau absolu, car elles ne subissent plus l’influence de la dualité, comme le bien et le mal. La perfection de la conscience de Kṛṣṇa réside dans le renoncement à la conception matérielle de l’existence. On y parvient automatiquement en progressant dans cette voie.

Un être conscient de Kṛṣṇa puise sa détermination dans la connaissance. Vāsudevaḥ sarvam iti sa mahātmā su-durlabhaḥ: il est l’une des rares âmes à réaliser que Vāsudeva, Kṛṣṇa, est la racine de toutes les causes manifestées. De même que l’eau versée à la racine d’un arbre va tout naturellement aux feuilles et aux branches, le dévot de Kṛṣṇa rend à tous – à lui-même, à sa famille, à la société, à son pays ou à l’humanité – le plus grand service qui soit. Quand Kṛṣṇa est satisfait de nos actes, tout le monde est satisfait.

Il est préférable d’agir dans la conscience de Kṛṣṇa sous la direction experte d’un maître spirituel authentique, représentant qualifié du Seigneur qui, connaissant la personnalité de son disciple, peut le guider dans ses actes. Si l’on aspire à être versé dans la conscience de Kṛṣṇa, on doit se montrer déterminé et obéir au maître spirituel, en se donnant pour mission de suivre ses directives. Śrīla Viśvanātha Cakravartī Ṭhākura nous enseigne dans ses célèbres prières au maître spirituel:

yasya prasādād bhagavat-prasādo
yasyāprasādān na gatiḥ kuto ’pi
dhyāyan stuvaṁs tasya yaśas tri-sandhyaṁ
vande guroḥ śrī-caraṇāravindam

« Si le maître spirituel est satisfait, Kṛṣṇa est à Son tour satisfait; sans cela, nul ne peut s’élever jusqu’à la conscience de Dieu. Aussi dois-je, trois fois par jour, méditer sur mon maître spirituel, implorer sa miséricorde et lui rendre mon hommage respectueux. »

Cette méthode, toutefois, repose sur la connaissance parfaite de l’âme, au-delà du concept du corps – connaissance non seulement théorique mais pratique –, à un niveau où l’on ne recherche plus le plaisir matériel à travers l’action intéressée. Car celui dont le mental n’est pas fixé se perd dans toutes sortes d’activités intéressées.

Texte

yām imāṁ puṣpitāṁ vācaṁ
pravadanty avipaścitaḥ
veda-vāda-ratāḥ pārtha
nānyad astīti vādinaḥ
kāmātmānaḥ svarga-parā
janma-karma-phala-pradām
kriyā-viśeṣa-bahulāṁ
bhogaiśvarya-gatiṁ prati

Synonyms

yām imām: toutes ces; puṣpitām: fleuries; vācam: paroles; pravadanti: disent; avipaścitaḥ: les hommes qui ont peu de connaissance; veda-vāda-ratāḥ: qui prétendent suivre les Védas; pārtha: ô fils de Pṛthā; na: jamais; anyat: autre chose; asti: il y a; iti: cela; vādinaḥ: ceux qui préconisent; kāma-ātmānaḥ: désireux de satisfaire leurs sens; svarga-parāḥ: ayant pour but d’atteindre les planètes édéniques; janma-karma-phala-pradām: pour obtenir une naissance favorable et autres conséquences bénéfiques; kriyā-viśeṣa: cérémonies pompeuses; bahulām: diverses; bhoga: le plaisir des sens; aiśvarya: et l’opulence; gatim: le progrès; prati: vers.

Translation

Les hommes au savoir limité sont très attachés au langage fleuri des Védas, lesquels recommandent diverses pratiques intéressées permettant d’atteindre les planètes édéniques, de renaître dans des conditions favorables et d’acquérir puissance et bienfaits divers. Avides de jouissance sensorielle et d’opulence, ils prétendent qu’il n’y a rien de supérieur.

Purport

En général, les gens ne sont pas très intelligents et, à cause de leur ignorance, s’attachent aux activités intéressées recommandées dans la section karma-kāṇḍa des Védas. Ils ne veulent rien d’autre que le plaisir qu’on trouve sur les planètes édéniques, où abondent les femmes et le vin, et où règne l’opulence. Les Védas recommandent de nombreux sacrifices pour atteindre les planètes édéniques, en particulier ceux qu’on nomme jyotiṣṭoma. En fait, il est écrit que quiconque désire atteindre ces planètes doit accomplir ces sacrifices, si bien que les hommes peu instruits pensent qu’il s’agit du seul but de la sagesse védique. Il est difficile pour de telles personnes d’adopter avec détermination la conscience de Kṛṣṇa. Tout comme le sot est attiré par les fleurs des arbres toxiques sans avoir conscience des risques qu’il encourt, l’ignorant est fasciné par l’opulence et les plaisirs édéniques.

Dans la section karma-kāṇḍa des Védas, il est écrit: apāma somam amṛtā abhūma et aussi akṣayyaṁ ha vai cāturmāsya-yājinaḥ sukṛtaṁ bhavati. Quiconque pratique les austérités spécifiques à la période de quatre mois du cāturmāsya pourra goûter le soma-rasa pour devenir immortel et jouir d’un bonheur sans fin. Même sur notre planète, on rencontre des gens qui désirent plus que tout boire le soma-rasa pour accroître leur force et intensifier leur plaisir. Ils ne croient pas en la libération de l’existence matérielle et s’attachent uniquement au faste des cérémonies sacrificielles védiques. Comme ils sont très portés sur les plaisirs de ce monde, ils n’aspirent qu’aux délices des planètes édéniques. On trouve sur ces planètes des jardins appelés Nandana-kānana, où il est facile d’approcher des femmes angéliques d’une grande beauté, et où le soma-rasa coule à flot. Il s’agit bien là de plaisirs sensuels. Il y a donc des hommes qui se considèrent les seigneurs et maîtres du monde matériel et n’ont pour seul souci dans la vie que de jouir d’un tel bonheur, pourtant matériel et éphémère.

Texte

bhogaiśvarya-prasaktānāṁ
tayāpahṛta-cetasām
vyavasāyātmikā buddhiḥ
samādhau na vidhīyate

Synonyms

bhoga: au plaisir matériel; aiśvarya: et à l’opulence; prasaktānām: chez ceux qui sont attachés; tayā: par ces choses; apahṛta-cetasām: plongés dans la confusion; vyavasāya-ātmikā: avec une ferme détermination; buddhiḥ: le service de dévotion; samādhau: dans le mental fixé; na: jamais; vidhīyate: ne prend place.

Translation

La ferme résolution de servir le Seigneur Suprême avec amour et dévotion ne naît jamais dans l’esprit confus de ceux qui sont trop attachés aux plaisirs des sens et à l’opulence matérielle.

Purport

Le mot samādhi signifie « mental fixé ». D’après le dictionnaire védique, le Nirukti: samyag ādhīyate ’sminn ātma-tattva-yāthātmyam – « le samādhi est l’état que l’on atteint lorsque le mental est pleinement absorbé dans la réalisation spirituelle. » Tant qu’un homme est attiré, ou égaré, par les plaisirs matériels temporels, il lui est impossible d’atteindre le samādhi. Confronté à l’énergie matérielle, il est plus ou moins condamné à l’échec.

Texte

trai-guṇya-viṣayā vedā
nistrai-guṇyo bhavārjuna
nirdvandvo nitya-sattva-stho
niryoga-kṣema ātmavān

Synonyms

trai-guṇya: concernant les trois modes d’influence de la nature; viṣayāḥ: sur la question; vedāḥ: les Écritures védiques; nistrai-guṇyaḥ: transcendant les trois modes d’influence de la nature; bhava: soit; arjuna: ô Arjuna; nirdvandvaḥ: sans dualité; nitya-sattva-sthaḥ: dans la pureté de l’existence spirituelle; niryoga-kṣemaḥ: libre de pensées de gain et de protection; ātma-vān: fixé sur le soi.

Translation

Les Védas traitent essentiellement de sujets relatifs aux trois modes d’influence de la nature matérielle. Transcende ces trois guṇas, ô Arjuna, libère-toi de toute dualité, de tout souci de gain et de sécurité, et fixe ton attention sur le soi.

Purport

Tout acte matériel implique un enchaînement action-réaction qui est fonction des trois modes d’influence de la nature. Accompli dans l’espoir d’en recueillir les fruits, il ne peut que nous retenir prisonniers du monde de la matière. Si les Védas mettent essentiellement l’accent sur les actes intéressés, c’est pour que le commun des hommes s’élève progressivement du stade des plaisirs matériels à celui de la transcendance. Kṛṣṇa conseille donc à Arjuna, Son ami et disciple, d’élever sa conscience au niveau absolu du Vedānta, qui d’emblée recommande de s’enquérir de la transcendance suprême, le brahma-jijñāsā.

Tous les êtres vivants en ce monde doivent lutter pour leur survie. C’est pour eux que le Seigneur, après la création de l’univers matériel, révèle la connaissance védique afin qu’ils apprennent à vivre et s’échappent de la prison matérielle. Après en avoir terminé avec la section karma-kāṇḍa des Védas, qui traite des activités liées au plaisir des sens, l’opportunité d’atteindre la réalisation spirituelle s’offre à nous sous la forme des Upaniṣads. Tout comme la Bhagavad-gītā fait partie intégrante du cinquième Véda (le Mahābhārata), les Upaniṣads font partie des Védas et sont au fondement de la vie spirituelle.

As long as the material body exists, there are actions and reactions in the material modes. One has to learn tolerance in the face of dualities such as happiness and distress, or cold and warmth, and by tolerating such dualities become free from anxieties regarding gain and loss. This transcendental position is achieved in full Kṛṣṇa consciousness when one is fully dependent on the good will of Kṛṣṇa.

Texte

yāvān artha uda-pāne
sarvataḥ samplutodake
tāvān sarveṣu vedeṣu
brāhmaṇasya vijānataḥ

Synonyms

yāvān: tout ce qui; arthaḥ: est attendu de; uda-pāne: un puits plein d’eau; sarvataḥ: à tous les égards; sampluta-udake: dans une grande étendue d’eau; tāvān: de même; sarveṣu: dans toutes; vedeṣu: les Écritures védiques; brāhmaṇasya: de l’homme qui connaît le Brahman Suprême; vijānataḥ: qui possède la connaissance parfaite.

Translation

À la manière d’une grande nappe d’eau qui remplit toutes les fonctions d’un puits, celui qui connaît le véritable dessein des Védas peut aisément répondre à toutes les injonctions védiques.

Purport

Les rites et les sacrifices mentionnés dans la section karma-kāṇḍa des Védas ont pour but d’encourager le développement progressif de la réalisation spirituelle chez l’homme. Le but de cette réalisation est clairement exposé dans la Bhagavad-gītā (15.15): l’objectif de l’étude des Védas est de connaître Kṛṣṇa, la source originelle de toutes choses. La réalisation spirituelle consiste donc à comprendre Kṛṣṇa et la relation éternelle qui nous unit à Lui. Le quinzième chapitre de la Bhagavad-gītā (15.7) nous éclaire également sur la nature de la relation qui unit les êtres vivants au Seigneur. Ces derniers font partie intégrante de Kṛṣṇa. Ranimer en soi la conscience de Kṛṣṇa est donc le plus haut degré de perfection de la connaissance des Védas. Ce que confirme le Śrīmad-Bhāgavatam (3.33.7):

aho bata śva-paco ’to garīyān
yaj-jihvāgre vartate nāma tubhyam
tepus tapas te juhuvuḥ sasnur āryā
brahmānūcur nāma gṛṇanti ye te

« Ô mon Seigneur, quiconque chante Ton saint nom, fût-il de la plus basse condition et né de caṇḍālas (mangeurs de chien), se trouve au niveau le plus élevé de la réalisation spirituelle. Pour y parvenir, il a certes dû effectuer toutes sortes de pénitences et de sacrifices selon les rites védiques. Il a dû aussi étudier assidûment les Védas et s’être baigné dans tous les saints lieux de pèlerinage. On doit le voir comme le meilleur des āryans. »

Soyons donc suffisamment intelligents pour comprendre le but véritable des Védas et ne pas nous attacher uniquement aux rites, et abandonnons le désir d’atteindre les planètes édéniques dans le seul but de jouir plus intensément des plaisirs matériels. L’homme d’aujourd’hui ne peut ni observer les lois et les règles indispensables à l’application des rites védiques, ni étudier en profondeur le Vedānta et l’ensemble des Upaniṣads. Satisfaire aux exigences des Védas demande beaucoup de temps, d’énergie, de connaissance et de ressources, choses que l’on n’a plus en cet âge. Mais on peut atteindre le but ultime de la culture védique en chantant le saint nom du Seigneur, comme le recommande Caitanya Mahāprabhu, le libérateur de toutes les âmes déchues. Lorsque Prakāśānanda Sarasvatī, un grand érudit en matière védique, Lui déclara qu’il est sentimental de chanter le saint nom du Seigneur plutôt que d’étudier la philosophie du Vedānta, Śrī Caitanya répondit que Son maître spirituel, Le trouvant fort ignorant, Lui avait enjoint de chanter le saint nom de Kṛṣṇa. Ce chant Lui fit connaître l’ivresse de l’extase.

Dans l’ère où nous vivons, le Kali-yuga, la plupart des gens sont ignorants et n’ont pas l’instruction suffisante pour comprendre la philosophie du Vedānta. Il leur est donc recommandé, pour atteindre le but de la philosophie du Vedānta, de chanter le saint nom du Seigneur en se gardant de commettre la moindre offense. Le Vedānta est la quintessence de la sagesse védique, et comme Kṛṣṇa en est l’auteur, Il le connaît parfaitement. Le plus grand védantiste est la grande âme qui prend plaisir à chanter les saints noms du Seigneur. Tel est l’ultime objet de la mystique védique.

Texte

karmaṇy evādhikāras te
mā phaleṣu kadācana
mā karma-phala-hetur bhūr
mā te saṅgo ’stv akarmaṇi

Synonyms

karmaṇi: les devoirs prescrits; eva: certes; adhikāraḥ: le droit; te: de toi; mā: jamais; phaleṣu: les fruits; kadācana: à aucun moment; mā: jamais; karma-phala: du résultat de l’action; hetuḥ: la cause; bhūḥ: ne devient; mā: jamais; te: de toi; saṅgaḥ: l’attachement; astu: il ne devrait y avoir; akarmaṇi: à ne pas faire tes devoirs prescrits.

Translation

Tu as le droit d’accomplir le devoir qui t’échoit, mais pas de disposer des fruits de l’acte. Jamais ne crois être la cause des suites de l’action, et à aucun moment ne rejette ton devoir.

Purport

Nous devons ici considérer trois facteurs: le devoir prescrit, l’action indépendante et l’inaction. Les devoirs prescrits sont les activités déterminées pour chacun en fonction des guṇas qui influent sur lui; les actions indépendantes, celles qu’on accomplit sans l’accord d’aucune autorité, et l’inaction, le refus du devoir. Le Seigneur conseille à Arjuna de ne pas emprunter la voie de l’inaction, mais bien plutôt de remplir son devoir, sans s’attacher aux résultats. Car celui qui s’attache aux fruits de l’action prend sur lui la responsabilité de ses actes, et doit donc jouir ou souffrir de leurs conséquences.

Les devoirs prescrits peuvent être de trois ordres: les devoirs de routine, les devoirs d’urgence et les occupations librement choisies. Les devoirs de routine sont les devoirs imposés, accomplis selon les Écritures et sans attachement aux fruits qui en résultent. Ils relèvent du mode d’influence de la vertu. L’action que motive le résultat engendre au contraire l’asservissement, aussi est-elle de mauvais augure. Chacun peut accomplir son devoir en toute légitimité, mais doit agir sans attachement aux résultats. S’acquitter de ses obligations dans un esprit de détachement, c’est avancer d’un pas sûr vers la libération.

Le Seigneur conseille donc à Arjuna de combattre par devoir, sans s’attacher au résultat. Ne pas vouloir engager le combat, c’est encore faire montre d’une autre forme d’attachement. Bons ou mauvais, les attachements matériels sont toujours cause de servitude et ne peuvent en aucun cas nous aider à nous libérer de la matière. L’inaction, par ailleurs, est condamnable. La seule voie de salut est donc pour Arjuna de combattre comme son devoir l’exige.

Texte

yoga-sthaḥ kuru karmāṇi
saṅgaṁ tyaktvā dhanañ-jaya
siddhy-asiddhyoḥ samo bhūtvā
samatvaṁ yoga ucyate

Synonyms

yoga-sthaḥ: égal; kuru: accomplis; karmāṇi: tes devoirs; saṅgam: l’attachement; tyaktvā: abandonnant; dhanam-jaya: ô Arjuna, conquérant des richesses; siddhi-asiddhyoḥ: dans le succès et dans l’échec; samaḥ: le même; bhūtvā: devenant; samatvam: l’équanimité; yogaḥ: yoga; ucyate: est appelée.

Translation

Remplis ton devoir avec équanimité, ô Arjuna, sans t’attacher au succès ou à l’échec. Cette égalité d’âme, on l’appelle yoga.

Purport

Kṛṣṇa dit à Arjuna qu’il doit agir dans l’esprit du yoga. Mais quel est ce yoga ? Le terme yoga signifie maintenir son esprit fixé sur le Suprême en maîtrisant ses sens, par nature constamment agités. Et qui est le Suprême ? Le Seigneur, Dieu. Puisqu’Il demande personnellement à Arjuna de combattre, ce dernier n’a pas à se sentir impliqué dans l’issue de la bataille: le succès ou la victoire sont entre les mains de Kṛṣṇa. Arjuna, pour sa part, n’a qu’à suivre Ses instructions. C’est en cela que consiste le vrai yoga, qui trouve sa juste application dans la conscience de Kṛṣṇa. Elle seule permet de se défaire de la tendance à se croire le propriétaire de tout. Si l’on veut s’acquitter de son devoir dans la conscience de Kṛṣṇa, on doit devenir le serviteur du Seigneur, ou le serviteur de Son serviteur. Tel est le seul moyen d’agir dans l’esprit du yoga.

Arjuna est un kṣatriya. Aussi agit-il dans le cadre du varṇāśrama-dharma, dont le seul but, nous dit le Viṣṇu Purāṇa, est de satisfaire Viṣṇu. Ce n’est pas soi-même qu’il faut chercher à satisfaire, comme il est de règle dans le monde matériel, mais bien Kṛṣṇa. Et à moins d’agir ainsi, on ne peut prétendre observer correctement les principes du varṇāśrama-dharma. Kṛṣṇa laisse donc entendre à Arjuna qu’il devrait suivre Sa volonté.

Texte

dūreṇa hy avaraṁ karma
buddhi-yogād dhanañ-jaya
buddhau śaranam anviccha
kṛpaṇāḥ phala-hetavaḥ

Synonyms

dūreṇa: jette très loin; hi: certes; avaram: abominable; karma: l’activité; buddhi-yogāt: par la puissance de la conscience de Kṛṣṇa; dhanam-jaya: ô conquérant des richesses; buddhau: dans cet esprit; śaraṇam: l’abandon total; anviccha: essaie d’atteindre; kṛpaṇāḥ: avares; phala-hetavaḥ: ceux qui veulent jouir des fruits de leurs actes.

Translation

Ô Dhanañjaya, par la pratique du service de dévotion, garde-toi de tout acte répréhensible et, dans un tel état d’esprit, abandonne-toi au Seigneur. Ils sont avaricieux ceux qui aspirent aux fruits de leurs actes.

Purport

Celui qui parvient à réaliser pleinement sa nature fondamentale de serviteur éternel du Seigneur abandonne toute occupation autre que celle accomplie dans la conscience de Kṛṣṇa. Buddhi-yoga signifie, nous l’avons vu, servir le Seigneur avec amour, ce qui est la meilleure voie à suivre pour tous les êtres. Seuls les avares veulent jouir des fruits de leur labeur pour s’empêtrer davantage dans les rets de l’existence matérielle.

Toute action accomplie dans un autre but que de plaire à Kṛṣṇa est néfaste, car elle enchaîne toujours plus son auteur au cycle des morts et des renaissances. On ne devrait donc jamais désirer être la cause de l’action. Tout devrait se faire en pleine conscience de Kṛṣṇa, pour Son seul plaisir. L’avare ne sait pas utiliser les richesses qu’il a acquises par heureuse fortune ou par son dur labeur. Et comme lui, l’infortuné n’utilise pas son énergie au service du Seigneur. Pourtant si l’on dépense toute son énergie pour Kṛṣṇa, l’existence sera un succès.

Texte

buddhi-yukto jahātīha
ubhe sukṛta-duṣkṛte
tasmād yogāya yujyasva
yogaḥ karmasu kauśalam

Synonyms

buddhi-yuktaḥ: celui qui pratique le service de dévotion; jahāti: peut se débarrasser; iha: dans cette vie; ubhe: des deux; sukṛta-duṣkṛte: des bons et mauvais résultats; tasmāt: donc; yogāya: pour le service de dévotion; yujyasva: soit engagé de cette façon; yogaḥ: la conscience de Kṛṣṇa; karmasu: dans toutes les activités; kauśalam: l’art.

Translation

Qui se consacre au service de dévotion s’affranchit, en cette vie même, des suites bonnes et mauvaises de ses actes. Efforce-toi donc d’atteindre à l’art d’agir, au yoga.

Purport

Depuis des temps immémoriaux, tous les êtres vivants accumulent les conséquences de leurs actes bons ou mauvais; c’est pourquoi ils ignorent toujours leur position véritable, inhérente. Les instructions données dans la Bhagavad-gītā, qui nous apprennent à nous abandonner totalement à Śrī Kṛṣṇa et à nous libérer de l’enchaînement aux actes et à leurs conséquences, vie après vie, peuvent dissiper notre ignorance. Arjuna se voit donc conseiller d’agir en pleine conscience de Kṛṣṇa, car c’est le procédé qui permet de purifier les suites de l’action.

Texte

karma-jaṁ buddhi-yuktā hi
phalaṁ tyaktvā manīṣiṇaḥ
janma-bandha-vinirmuktāḥ
padaṁ gacchanty anāmayam

Synonyms

karma-jam: dus aux actions intéressées; buddhi-yuktāḥ: étant voués au service de dévotion; hi: certes; phalam: les résultats; tyaktvā: abandonnant; manīṣiṇaḥ: les grands sages, les dévots; janma-bandha: de l’enchaînement à la naissance et à la mort; vinirmuktāḥ: libérés; padam: la condition; gacchanti: ils atteignent; anāmayam: sans souffrance.

Translation

En se vouant avec dévotion au service du Seigneur, les grands sages, les dévots, renoncent en ce monde aux fruits de leurs actes. Ainsi se libèrent-ils du cycle des morts et des renaissances pour accéder à un état exempt de toute souffrance [en retournant auprès de Dieu].

Purport

La place de l’être libéré est là où les souffrances matérielles n’existent pas. Le Śrīmad-Bhāgavatam (10.14.58) affirme à ce propos:

samāṣritā ye pada-pallava-plavaṁ
mahat-padaṁ puṇya-yaśo murāreḥ
bhavāmbudhir vatsa-padaṁ paraṁ padaṁ
padaṁ padaṁ yad vipadāṁ na teṣām

« Pour celui qui a pris refuge sur le vaisseau des pieds pareils-au-lotus du Seigneur, Mukunda – qui accorde la libération (mukti) –, en qui repose toute la manifestation cosmique, l’océan de l’existence matérielle est comparable à l’eau contenue dans l’empreinte du sabot d’un veau. Il n’est intéressé que par le lieu où les souffrances matérielles n’existent pas (paraṁ padam, ou Vaikuṇṭha), et non par celui où de nouveaux dangers se présentent à chaque pas. »

L’ignorance nous empêche de voir que l’univers matériel est un lieu de souffrance, où le danger est partout. Seule l’ignorance, en effet, pousse l’homme peu éclairé à vouloir remédier aux problèmes de l’existence en recherchant à travers tous ses actes son intérêt personnel, et à croire qu’ainsi il trouvera le bonheur. Il ignore qu’aucun corps matériel, en aucun lieu de l’univers, ne peut lui permettre de mener une vie exempte de souffrance. Partout en ce monde, tous sont affligés par les souffrances que leur apportent la naissance, la maladie, la vieillesse et la mort. Mais celui qui connaît sa véritable nature de serviteur éternel du Seigneur, et qui réalise par là la position de Dieu, la Personne Suprême, s’engage avec amour dans Son service transcendantal. Il est alors tout à fait qualifié pour atteindre les planètes Vaikuṇṭhas, où n’existent ni la triste vie matérielle, ni les influences du temps et de la mort.

La connaissance de sa propre position implique qu’on reconnaisse aussi celle, sublime, du Seigneur. Celui qui croit à tort l’âme distincte située au même niveau que le Seigneur est dans les ténèbres. Il n’est pas possible pour lui de s’engager dans Son service avec amour et dévotion. Il cherche à devenir lui-même le Seigneur et à cause de cela se prépare à transmigrer de corps en corps. Mais celui qui, reconnaissant sa condition de serviteur, s’engage au service de Kṛṣṇa, se qualifie pour atteindre les planètes Vaikuṇṭhas. Le service offert au Seigneur porte le nom de karma-yoga, ou buddhi-yoga, ou plus simplement, de service dévotionnel.

Texte

yadā te moha-kalilaṁ
buddhir vyatitariṣyati
tadā gantāsi nirvedaṁ
śrotavyasya śrutasya ca

Synonyms

yadā: quand; te: ton; moha: de l’illusion; kalilam: la forêt dense; buddhiḥ: intelligence dans le service transcendantal; vyatitariṣyati: surpasse; tadā: à ce moment; gantā asi: tu iras; nirvedam: indifférence; śrotavyasya: à tout ce qui sera entendu; śrutasya: tout ce qui a déjà été entendu; ca: aussi.

Translation

Lorsque ton intelligence aura franchi la dense forêt de l’illusion, tout ce que tu as déjà entendu et tout ce que tu pourrais encore entendre te laissera indifférent.

Purport

On trouve parmi les grands dévots du Seigneur de nombreux exemples de personnes qui, simplement pour s’être engagées au service du Seigneur avec amour et dévotion, se détachèrent des pratiques rituelles des Védas. Celui qui connaît réellement Kṛṣṇa, ainsi que la relation qui l’unit à Lui, serait-il un brāhmaṇa expérimenté, se détache naturellement et complètement des pratiques rituelles intéressées. Śrī Mādhavendra Purī, grand dévot et grand ācārya dans la lignée vaiṣṇava, dit:

sandhyā-vandana bhadram astu bhavato bhoḥ snāna tubhyaṁ namo
bho devāḥ pitaraś ca tarpaṇa-vidhau nāhaṁ kṣamaḥ kṣamyatām
yatra kvāpi niṣadya yādava-kulottaṁsasya kaṁsa-dviṣaḥ
smāraṁ smāram aghaṁ harāmi tad alaṁ manye kim anyena me

« Ô prières faites trois fois par jour, gloire vous soit rendue ! Ô bains sacrés ! Je vous offre mon hommage. Ô devas ! Ô ancêtres ! Pardonnez mon inaptitude à vous offrir mes respects. Où que j’aille, je me rappelle l’illustre descendant de la dynastie Yadu [Kṛṣṇa], l’ennemi de Kaṁsa. Ainsi puis-je me libérer des conséquences de tous mes péchés. Et cela me suffit. »

Les règles et les pratiques rituelles védiques doivent être rigoureusement observées par les néophytes: prières à réciter trois fois par jour, bain matinal, hommages aux ancêtres, etc. Mais l’être pleinement conscient de Kṛṣṇa, qui Le sert avec un amour pur, se désintéresse de ces principes régulateurs, car il a déjà atteint la perfection. Si l’on peut obtenir la connaissance en servant le Seigneur Suprême, Kṛṣṇa, alors il n’est plus besoin d’accomplir les austérités et les sacrifices prescrits par les Écritures révélées. De même, si l’on suit ces divers rites sans comprendre que le but des Védas est d’atteindre Kṛṣṇa, on perd tout simplement son temps. L’homme conscient de Kṛṣṇa transcende les limites du śabda-brahma, le champ d’action des Védas et des Upaniṣads.

Texte

śruti-vipratipannā te
yadā sthāsyati niścalā
samādhāv acalā buddhis
tadā yogam avāpsyasi

Synonyms

śruti: de la révélation védique; vipratipannā: sans être influencé par les résultats intéressés; te: ton; yadā: quand; sthāsyati: demeure; niścalā: impassible; samādhau: dans la conscience spirituelle, la conscience de Kṛṣṇa; acalā: inébranlable; buddhiḥ: intelligence; tadā: à ce moment; yogam: la réalisation spirituelle; avāpsyasi: tu atteindras.

Translation

Lorsque ton esprit ne sera plus distrait par le langage fleuri des Védas et s’absorbera pleinement dans la réalisation spirituelle, tu auras atteint la conscience divine.

Purport

To say that one is in samādhi is to say that one has fully realized Kṛṣṇa consciousness; that is, one in full samādhi has realized Brahman, Paramātmā and Bhagavān. The highest perfection of self-realization is to understand that one is eternally the servitor of Kṛṣṇa and that one’s only business is to discharge one’s duties in Kṛṣṇa consciousness. A Kṛṣṇa conscious person, or unflinching devotee of the Lord, should not be disturbed by the flowery language of the Vedas nor be engaged in fruitive activities for promotion to the heavenly kingdom. In Kṛṣṇa consciousness, one comes directly into communion with Kṛṣṇa, and thus all directions from Kṛṣṇa may be understood in that transcendental state. One is sure to achieve results by such activities and attain conclusive knowledge. One has only to carry out the orders of Kṛṣṇa or His representative, the spiritual master.

Texte

arjuna uvāca
sthita-prajñasya kā bhāṣā
samādhi-sthasya keśava
sthita-dhīḥ kiṁ prabhāṣeta
kim āsīta vrajeta kim

Synonyms

arjunaḥ uvāca: Arjuna dit; sthita-prajñasya: de celui qui est fermement établi dans la conscience de Kṛṣṇa; kā: quel; bhāṣā: langage; samādhi-sthasya: de celui qui est en extase méditative; keśava: ô Kṛṣṇa; sthita-dhīḥ: celui qui est fixe dans la conscience de Kṛṣṇa; kim: comment; prabhāṣeta: parle; kim: comment; āsīta: reste immobile; vrajeta: marche; kim: comment.

Translation

Arjuna dit: Ô Kṛṣṇa, à quoi reconnaît-on celui dont la conscience baigne ainsi dans la transcendance ? Comment parle-t-il et quel langage tient-il ? Comment s’assied-il et comment marche-t-il ?

Purport

Tout homme a de par sa nature divers traits particuliers. On reconnaît, par exemple, un riche, un malade ou un érudit à certains signes distinctifs. Il en est de même pour un être conscient de Kṛṣṇa: il a sa façon particulière de parler, de marcher, de penser, de sentir, etc., que nous décrit la Bhagavad-gītā. Mais le plus important est sa façon de parler, car c’est là le signe distinctif de l’homme. Tant qu’il n’ouvre pas la bouche, un sot passe inaperçu, plus facilement encore s’il a bonne apparence, mais dès qu’il ouvre la bouche, il se trahit. La première caractéristique d’une personne consciente de Kṛṣṇa est qu’elle ne parle que de Lui ou de sujets ayant rapport à Lui. Les autres caractéristiques en découlent automatiquement, comme on le verra dans les versets suivants.

Texte

śrī-bhagavān uvāca
prajahāti yadā kāmān
sarvān pārtha mano-gatān
ātmany evātmanā tuṣṭaḥ
sthita-prajñas tadocyate

Synonyms

śrī-bhagavān uvāca: Dieu, la Personne Suprême, dit; prajahāti: abandonne; yadā: quand; kāmān: les désirs de plaisirs sensoriels; sarvān: de toutes variétés; pārtha: ô fils de Pṛthā; manaḥ-gatān: créations du mental; ātmani: dans l’état pur de l’âme; eva: certes; ātmanā: par le mental purifié; tuṣṭaḥ: satisfait; sthita-prajñaḥ: situé au niveau transcendantal; tadā: à ce moment; ucyate: est dit.

Translation

Dieu, la Personne Suprême, répond: Quand un homme, ô Pārtha, renonce aux multiples désirs de jouissance sensorielle que lui impose le mental, quand son esprit, ainsi purifié, ne trouve plus de satisfaction ailleurs que dans le soi, on dit que sa conscience est purement transcendantale.

Purport

Le Śrīmad-Bhāgavatam affirme qu’une personne parfaitement consciente de Kṛṣṇa, absorbée dans le service de dévotion, possède toutes les qualités des grands sages, alors que celui qui n’a pas atteint ce degré de spiritualité ne peut prétendre à aucune bonne qualité, car il s’accroche forcément à ses propres élucubrations. Aussi, ce verset nous conseille à juste titre de repousser tous les désirs de jouissance matérielle que se crée le mental. Il est impossible de mettre artificiellement un terme à ces désirs, mais si l’on adopte la conscience de Kṛṣṇa, ils s’évanouiront graduellement sans qu’il y ait besoin de fournir d’efforts indépendants.

On ne doit donc pas hésiter à s’engager dans la conscience de Kṛṣṇa, car le service de dévotion a le pouvoir d’élever progressivement la conscience au niveau transcendantal. Réalisant sa position d’éternel serviteur du Seigneur Suprême, l’être hautement accompli jouit d’une constante paix intérieure. À ce stade, il ne connaît plus les désirs liés au matérialisme. Sa position naturelle de serviteur du Seigneur Suprême retrouvée, il goûte au contraire un bonheur permanent.

Texte

duḥkheṣv anudvigna-manāḥ
sukheṣu vigata-spṛhaḥ
vīta-rāga-bhaya-krodhaḥ
sthita-dhīr munir ucyate

Synonyms

duḥkheṣu: par les trois formes de souffrance; anudvigna-manāḥ: sans avoir le mental affecté; sukheṣu: dans le bonheur; vigata-spṛhaḥ: sans prendre d’intérêt; vīta: libre de; rāga: l’attachement; bhaya: la peur; krodhaḥ: et la colère; sthita-dhīḥ: dont le mental est ferme; muniḥ: un sage; ucyate: est appelé.

Translation

L’être qui n’est pas affecté par les trois formes de souffrance ni enivré par les joies de la vie, qui n’est pas sujet à l’attachement, la crainte et la colère, est qualifié de sage à l’esprit ferme.

Purport

Le mot muni désigne celui qui se plonge dans la réflexion spéculative sans jamais aboutir à aucune conclusion réelle. Chaque muni, pour être digne de ce nom, doit voir les choses sous un angle qui lui sera propre, et se faire une opinion différente des autres. Nāsāv ṛṣir yasya mataṁ na bhinnam (Mahābhārata, Vana-parva 313.117). Mais le sthita-dhīr muni dont parle le Seigneur est différent: il est toujours conscient de Kṛṣṇa, car il en a terminé avec la spéculation intellectuelle. On le nomme praśānta-niḥśeṣa-mano-rathāntara (Stotra-ratna 43), c’est-à-dire celui qui a dépassé le stade de la spéculation mentale et qui en est arrivé à la conclusion qu’il n’y a rien en dehors de Śrī Kṛṣṇa, Vāsudeva (vāsudevaḥ sarvam iti sa mahātmā su-durlabhaḥ). On lui donne le nom de muni au mental toujours fixé.

Cet être pleinement conscient de Kṛṣṇa n’est en rien affecté par les trois formes de souffrance, car il les accepte comme la miséricorde du Seigneur. Il se dit que, du fait de ses actes passés, il mériterait de souffrir beaucoup plus. Il réalise que par la grâce du Seigneur ses peines ont été réduites au minimum. Et quand il est joyeux, il remercie le Seigneur, se jugeant lui-même indigne d’être heureux. Il comprend que c’est par la seule miséricorde du Seigneur qu’il se trouve dans une situation favorable qui lui permet de mieux Le servir. Il est toujours audacieux et actif au service de Kṛṣṇa et ne ressent ni attachement ni aversion. Être attaché, c’est utiliser les choses pour son propre plaisir, alors que le détachement implique l’absence de tout attachement au plaisir des sens. Or, celui qui fixe ses pensées sur Kṛṣṇa ne connaît ni l’un ni l’autre du fait qu’il se dévoue au service du Seigneur, et ne se laisse donc pas emporter par la colère, quand bien même ses efforts resteraient infructueux. Dans le succès ou l’échec, celui qui a conscience de Kṛṣṇa demeure toujours ferme dans sa détermination.

Texte

yaḥ sarvatrānabhisnehas
tat tat prāpya śubhāśubham
nābhinandati na dveṣṭi
tasya prajñā pratiṣṭhitā

Synonyms

yaḥ: celui qui; sarvatra: partout; anabhisnehaḥ: sans attachement; tat: cela; tat: cela; prāpya: obtenant; śubha: le bien; aśubham: le mal; na: jamais; abhinandati: n’exalte; na: jamais; dveṣṭi: ne honnit; tasya: sa; prajñā: connaissance parfaite; pratiṣṭhitā: fixée.

Translation

Qui, en ce monde, ne se laisse pas plus troubler par le bien que par le mal qui lui sont faits, qui ne loue ou ne dénigre ni l’un ni l’autre, est fermement situé dans le parfait savoir.

Purport

Il survient toujours dans le monde matériel quelque bouleversement, tantôt favorable, tantôt défavorable. Celui qui est fermement situé dans la conscience de Kṛṣṇa n’est pas troublé par ces changements, ni affecté par le bien ou le mal. Mais tant qu’on se trouve dans l’univers matériel, on doit faire face au bien et au mal, car ce monde est un monde de dualités. Or celui qui s’absorbe dans la conscience de Kṛṣṇa ne pense qu’à Kṛṣṇa, le Bien Absolu, et n’est donc pas affecté par le bien et le mal. Il jouit d’une condition spirituelle purement transcendantale, qu’on appelle samādhi.

Texte

yadā saṁharate cāyaṁ
kūrmo ’ṅgānīva sarvaśaḥ
indriyāṇīndriyārthebhyas
tasya prajñā pratiṣṭhitā

Synonyms

yadā: quand; saṁharate: rentre; ca: aussi; ayam: il; kūrmaḥ: une tortue; aṅgāni: les membres; iva: comme; sarvaśaḥ: tous ensemble; indriyāṇi: les sens; indriya-arthebhyaḥ: des objets des sens; tasya: sa; prajñā: conscience; pratiṣṭhitā: fixée.

Translation

Semblable à une tortue rétractant ses membres au fond de sa carapace, celui qui parvient à écarter ses sens de leurs objets est solidement établi dans une conscience parfaite.

Purport

On est un yogī, un dévot ou une âme réalisée, quand on est capable de maîtriser ses sens, contrairement à la plupart des hommes qui sont esclaves de leurs sens et n’agissent que sous leur dictée. Voilà la réponse à la question d’Arjuna concernant le yogī. Les sens veulent agir librement et sans contrainte. On les compare à des serpents venimeux que le yogī, ou le dévot, doit garder sous son contrôle avec autant d’habileté qu’un charmeur de serpents. Il ne doit jamais les laisser agir indépendamment de sa volonté.

Les Écritures révélées nous donnent plusieurs règles à suivre: certaines sont des interdictions, d’autres des commandements. À moins d’observer ces règles et d’imposer certaines restrictions à ses sens, on ne peut fermement s’établir dans la conscience de Kṛṣṇa. Le meilleur exemple, mentionné ici, est celui de la tortue. Elle peut, selon le besoin et le moment, rétracter ses membres ou les faire sortir de sa carapace. Ainsi, le dévot n’utilise ses sens qu’à des fins précises, au service du Seigneur, et les retient en toute autre occasion. Arjuna reçoit ici l’instruction d’utiliser ses sens au service du Seigneur, et non pas pour sa propre satisfaction. Engager constamment ses sens au service du Seigneur, c’est faire comme la tortue qui rétracte ses membres au fond de sa carapace.

Texte

viṣayā vinivartante
nirāhārasya dehinaḥ
rasa-varjaṁ raso ’py asya
paraṁ dṛṣṭvā nivartate

Synonyms

viṣayāḥ: les objets de plaisir; vinivartante: dont elle est entraînée à s’abstenir; nirāhārasya: par des privations forcées; dehinaḥ: pour l’âme incarnée; rasa-varjam: renonçant au goût; rasaḥ: le sens du plaisir; api: bien qu’il y ait; asya: pour elle; param: des choses bien supérieures; dṛṣṭvā: en connaissant; nivartate: cesse de.

Translation

Même si elle restreint ses jouissances sensorielles, l’âme incarnée conserve un attrait pour les objets des sens. Toutefois, qu’elle goûte quelque chose de supérieur et elle mettra fin à ses vains plaisirs, la conscience fixée au niveau spirituel.

Purport

À moins d’être situé à un niveau transcendantal, il est impossible de se détourner du plaisir des sens. Le fait de restreindre ses sens en observant diverses règles est comparable au fait, pour un malade, de s’abstenir de manger certains aliments. Le patient n’aime pas ces restrictions et ne perd pas pour autant le goût des aliments défendus. Aussi la contrainte des sens par une pratique spirituelle comme l’aṣṭāṅga-yoga (yama, niyama, āsana, prāṇāyāma, pratyāhāra, dhāraṇā, dhyāna, etc.) est-elle recommandée aux gens de moindre intelligence, qui ne connaissent pas de meilleure méthode. Mais celui qui, en progressant dans la conscience de Kṛṣṇa, a goûté la beauté du Seigneur Suprême, Kṛṣṇa, n’éprouve plus le moindre attrait pour les choses matérielles. Ces restrictions ne s’imposent donc qu’aux néophytes dans la voie spirituelle et n’ont de valeur que pour ceux qui n’ont pas encore pris goût à la conscience de Kṛṣṇa. Quand on a véritablement atteint cette conscience de Kṛṣṇa, on perd automatiquement tout attrait pour les plaisirs matériels, désormais fades et ternes.

Texte

yatato hy api kaunteya
puruṣasya vipaścitaḥ
indriyāṇi pramāthīni
haranti prasabhaṁ manaḥ

Synonyms

yatataḥ: alors qu’il fait des efforts; hi: certes; api: en dépit de; kaunteya: ô fils de Kuntī; puruṣasya: de l’homme; vipaścitaḥ: plein de discernement; indriyāṇi: les sens; pramāthīni: agitant; haranti: jettent; prasabham: de force; manaḥ: le mental.

Translation

Les sens sont si puissants et impétueux, ô Arjuna, qu’ils vont jusqu’à ravir le mental de l’homme de discernement qui s’efforce de les maîtriser.

Purport

Nombreux sont les puissants érudits, philosophes et spiritualistes qui tentent de maîtriser leurs sens et qui, à cause de l’instabilité du mental, se voient retomber parfois sous leur emprise. Même Viśvāmitra, grand sage et parfait yogī, succomba aux plaisirs de la chair avec Menakā, en dépit de sa pratique du yoga et de ses rudes austérités pour dompter ses sens. Et bien sûr, on pourrait dénombrer mille cas semblables dans l’histoire du monde. Car il est très difficile de dominer le mental et les sens quand on n’est pas pleinement conscient de Kṛṣṇa. De fait, à moins de tourner ses pensées vers Kṛṣṇa, il est impossible d’abandonner ses habitudes matérielles. Śrī Yāmunācārya, dévot et grand saint, nous en donne un exemple concret:

yad-avadhi mama cetaḥ kṛṣṇa-pādāravinde
nava-nava-rasa-dhāmany udyataṁ rantum āsīt
tad-avadhi bata nārī-saṅgame smaryamāne
bhavati mukha-vikāraḥ suṣṭhu niṣṭhīvanaṁ ca

« Depuis que j’ai l’esprit occupé au service des pieds pareils-au-lotus de Kṛṣṇa, j’éprouve une joie transcendantale toujours nouvelle, et chaque fois que la pensée d’un rapport charnel avec une femme me vient à l’esprit, tout mon être s’en détourne et je crache de dégoût. »

Mahārāja Ambarīṣa aussi, grâce à son absorption dans la conscience de Kṛṣṇa, put vaincre les assauts du grand yogī Durvāsā Muni (sa vai manaḥ kṛṣṇa-padāravindayor vacāṁsi vaikuṇṭha-guṇānuvarṇane). La conscience de Kṛṣṇa est si sublime qu’automatiquement les plaisirs matériels perdent leur attrait et on ressent la plénitude qu’éprouve l’affamé une fois repu.

Texte

tāni sarvāṇi saṁyamya
yukta āsīta mat-paraḥ
vaśe hi yasyendriyāṇi
tasya prajñā pratiṣṭhitā

Synonyms

tāni: ces sens; sarvāṇi: tous; saṁyamya: gardant sous contrôle; yuktaḥ: engagés; āsīta: doivent être situés; mat-paraḥ: en relation avec Moi; vaśe: avec une soumission totale; hi: certes; yasya: celui dont; indriyāṇi: les sens; tasya: sa; prajñā: conscience; pratiṣṭhitā: fixée.

Translation

Qui discipline ses sens en les maîtrisant parfaitement et absorbe sa conscience en Moi fait certes preuve d’une intelligence ferme.

Purport

Ce verset atteste avec clarté que la conscience de Kṛṣṇa se situe au plus haut niveau dans l’échelle du yoga. À moins d’être conscient de Kṛṣṇa, il est absolument impossible de maîtriser ses sens. Comme nous l’avons vu plus haut, le grand sage Durvāsā Muni chercha un jour querelle à Mahārāja Ambarīṣa, un dévot du Seigneur. Poussé par l’orgueil, le muni entra sans raison dans une grande colère et perdit contrôle de lui-même. Le roi Ambarīṣa, par contre, bien qu’il fût un yogī moins puissant que le sage Durvāsā, put, parce qu’il était un dévot du Seigneur, supporter avec sérénité les injustices du sage et sortir victorieux du conflit. Voici, d’après le Śrīmad-Bhāgavatam (9.4.18–20), les activités qui permirent au roi de devenir maître de ses sens:

sa vai manaḥ kṛṣṇa-padāravindayor
vacāṁsi vaikuṇṭha-guṇānuvarṇane
karau harer mandira-mārjanādiṣu
śrutiṁ cakārācyuta-sat-kathodaye
mukunda-liṅgālaya-darśane dṛśau
tad-bhṛtya-gātra-sparśe ’ṅga-saṅgamam
ghrāṇaṁ ca tat-pāda-saroja-saurabhe
śrīmat-tulasyā rasanāṁ tad-arpite
pādau hareḥ kṣetra-padānusarpaṇe
śiro hṛṣīkeśa-padābhivandane
kāmaṁ ca dāsye na tu kāma-kāmyayā
yathottama-śloka-janāśrayā ratiḥ

« Le roi Ambarīṣa fixait ses pensées sur les pieds pareils-au-lotus de Kṛṣṇa, usait de ses mots pour décrire le royaume du Seigneur, se servait de ses mains pour nettoyer Son temple, de ses oreilles pour entendre louer Ses divertissements, de ses yeux pour contempler Sa forme, de son corps pour toucher le corps des dévots, de ses narines pour humer le parfum des fleurs offertes à Ses pieds semblables au lotus, de sa langue pour goûter les feuilles de tulasī offertes à Sa personne, de ses jambes pour se rendre à Son temple dans les lieux saints, de sa tête pour se prosterner devant Lui, et de ses désirs pour satisfaire Sa volonté divine. Toutes ces activités firent de lui un pur dévot du Seigneur (mat-para). »

Le mot mat-para est ici particulièrement significatif. L’exemple de Mahārāja Ambarīṣa montre bien comment on peut devenir un mat-para. Śrīla Baladeva Vidyābhūṣaṇa, grand érudit et ācārya dans la lignée des mat-paras, note: mad-bhakti-prabhāvena sarvendriya-vijaya-pūrvikā svātma-dṛṣṭiḥ sula-bheti bhāvaḥ – « Les sens ne peuvent être parfaitement maîtrisés que par la puissance du service dévotionnel offert à Kṛṣṇa. » Concept qu’on illustre parfois avec l’exemple du feu: « Tout comme un feu ardent peut dévorer tout ce qu’il y a dans une pièce, le Seigneur, Viṣṇu, situé dans le cœur du yogī, brûle toutes les impuretés. »

Le Yoga-sūtra recommande également la méditation sur Viṣṇu, et non sur le vide. Les pseudo-yogīs méditant sur autre chose que la forme de Viṣṇu ne font que perdre leur temps à rechercher quelque chimère. Le véritable but du yoga est de devenir conscient de Kṛṣṇa, d’être dévoué à la Personne Suprême.

Texte

dhyāyato viṣayān puṁsaḥ
saṅgas teṣūpajāyate
saṅgāt sañjāyate kāmaḥ
kāmāt krodho ’bhijāyate

Synonyms

dhyāyataḥ: en contemplant; viṣayān: les objets des sens; puṁsaḥ: d’une personne; saṅgaḥ: l’attachement; teṣu: aux objets des sens; upajāyate: se développe; saṅgāt: de l’attachement; sañjāyate: se développe; kāmaḥ: le désir; kāmāt: du désir; krodhaḥ: la colère; abhijāyate: se manifeste.

Translation

La contemplation des objets des sens fait naître l’attachement, lequel génère la convoitise qui, à son tour, engendre la colère.

Purport

Celui qui n’est pas conscient de Kṛṣṇa se trouve submergé de désirs matériels lorsqu’il contemple les objets des sens. Les sens ont besoin d’être actifs, et s’ils ne sont pas engagés spirituellement dans le service d’amour du Seigneur, ils chercheront tout naturellement quelque engagement au service de la jouissance matérialiste. Dans l’univers matériel, tous les êtres, y compris Śiva, Brahmā et les devas des planètes édéniques subissent l’attrait des objets de plaisir. La seule issue à ce labyrinthe de l’existence matérielle est la conscience de Kṛṣṇa. Śiva était en méditation profonde lorsqu’un jour Pārvatī vint exciter ses sens. Il se rendit à ses désirs et de leur union naquit Kārttikeya. Haridāsa Ṭhākura, par contre, un dévot du Seigneur, fut lui aussi tenté dans sa jeunesse par une incarnation de Māyā Devī, mais il n’eut aucun mal à lui résister en raison de sa pure dévotion à Kṛṣṇa.

Comme l’indique le verset de Śrī Yāmunācārya cité précédemment, un dévot sincère peut facilement renoncer aux désirs de jouissance matérielle parce qu’il trouve un goût supérieur dans les plaisirs spirituels qu’il connaît en compagnie du Seigneur. Tel est le secret du succès. Ainsi, quiconque n’est pas conscient de Kṛṣṇa, fût-il expert dans l’art de contrôler ses sens par une répression artificielle, est certain de succomber un jour ou l’autre. La moindre tentation le poussera à se rendre aux désirs de ses sens.

Texte

krodhād bhavati sammohaḥ
sammohāt smṛti-vibhramaḥ
smṛti-bhraṁśād buddhi-nāśo
buddhi-nāśāt praṇaśyati

Synonyms

krodhāt: de la colère; bhavati: vient; sammohaḥ: l’illusion parfaite; sammohāt: de l’illusion; smṛti: de la mémoire; vibhramaḥ: la confusion; smṛti-bhraṁśāt: quand la mémoire est égarée; buddhi-nāśaḥ: la perte de l’intelligence; buddhi-nāśāt: et de la perte de l’intelligence; praṇaśyati: on tombe.

Translation

La colère appelle l’illusion, qui elle-même entraîne l’égarement de la mémoire. Or, quand la mémoire s’égare, l’intelligence se perd, et l’on choit alors à nouveau dans le bourbier de l’existence matérielle.

Purport

Śrīla Rūpa Gosvāmī nous a donné les directives suivantes:

prāpañcikatayā buddhyā
hari-sambandhi-vastunaḥ
mumukṣubhiḥ parityāgo
vairāgyaṁ phalgu kathyate

(Bhakti-rasāmṛta-sindhu 1.2.258)

En devenant conscient de Kṛṣṇa, on apprend que tout peut être utilisé au service du Seigneur. Le spiritualiste à qui la conscience de Kṛṣṇa fait défaut tente artificiellement d’éviter le contact avec les objets matériels. Cependant, malgré son désir de se libérer de la prison matérielle, il n’atteint pas la perfection du renoncement. Son soi-disant renoncement est phalgu, ou de moindre importance. Par contre, celui qui est conscient de Kṛṣṇa sait comment tout mettre au service du Seigneur, et ainsi comment ne pas être victime du matérialisme.

Un impersonnaliste, par exemple, considère le Seigneur, l’Absolu, comme impersonnel, et donc incapable de manger. Aussi, tandis que l’impersonnaliste se prive de tout aliment savoureux, le dévot, sachant que Kṛṣṇa est le bénéficiaire de tous les plaisirs du monde et qu’Il mange tout ce qui Lui est offert avec dévotion, offre des mets succulents au Seigneur et en honore ensuite les restes, appelés prasādam. De cette façon, comme tout est spiritualisé, le dévot ne risque pas de choir. Le dévot prend le prasādam en étant conscient de Kṛṣṇa, tandis que le non-dévot le rejette comme s’il s’agissait d’un objet matériel. À cause de son faux renoncement, l’impersonnaliste ne peut jouir de la vie, si bien que la moindre agitation mentale le replonge dans le bourbier de l’existence matérielle. Même s’il atteint la libération, il retombera, n’ayant pas le soutien du service dévotionnel.

Texte

rāga-dveṣa-vimuktais tu
viṣayān indriyaiś caran
ātma-vaśyair vidheyātmā
prasādam adhigacchati

Synonyms

rāga: l’attachement; dveṣa: et du détachement; vimuktaiḥ: par celui qui s’est affranchi de; tu: mais; viṣayān: les objets des sens; indriyaiḥ: par les sens; caran: agissant sur; ātma-vaśyaiḥ: sous son contrôle; vidheya-ātmā: celui qui suit les règles de la liberté; prasādam: la miséricorde du Seigneur; adhigacchati: obtient.

Translation

Par contre, l’homme qui se libère de tout attachement et de toute aversion, qui parvient à maîtriser ses sens en observant les principes régulateurs de la liberté, reçoit du Seigneur Sa pleine miséricorde.

Purport

Nous avons déjà dit qu’on ne peut superficiellement se rendre maître de ses sens par quelque méthode artificielle, et qu’à moins de les mettre au service transcendantal du Seigneur, on a toutes les chances de choir. Bien qu’il puisse sembler qu’un être conscient de Kṛṣṇa agisse sur le plan matériel, il est en fait dénué de tout attachement aux objets des sens. Seule compte pour lui la satisfaction de Kṛṣṇa. Il transcende l’attachement comme le détachement. Si tel est le désir du Seigneur, le dévot est prêt à s’abstenir d’accomplir ce qu’il aurait normalement fait pour sa satisfaction personnelle, aussi bien qu’à faire des choses ordinairement déplaisantes pour lui. Il est donc libre d’agir ou de ne pas agir, puisqu’il ne fait que suivre les directives du Seigneur.

Le dévot atteint ce niveau de conscience par la miséricorde immotivée de Kṛṣṇa, et ce, en dépit de l’attachement qu’il peut encore éprouver pour les objets des sens.

Texte

prasāde sarva-duḥkhānāṁ
hānir asyopajāyate
prasanna-cetaso hy āśu
buddhiḥ paryavatiṣṭhate

Synonyms

prasāde: quand il a obtenu la miséricorde immotivée du Seigneur; sarva: de toutes; duḥkhānām: les souffrances matérielles; hāniḥ: la destruction; asya: pour lui; upajāyate: se produit; prasanna-cetasaḥ: de celui qui a l’esprit heureux; hi: certes; āśu: très bientôt; buddhiḥ: l’intelligence; pari: suffisamment; avatiṣṭhate: s’établit.

Translation

Les trois formes de souffrance matérielle n’affectent plus celui que le Seigneur a ainsi touché de Sa grâce. Désormais comblé, son intelligence ne tarde pas à être correctement située.

Texte

nāsti buddhir ayuktasya
na cāyuktasya bhāvanā
na cābhāvayataḥ śāntir
aśāntasya kutaḥ sukham

Synonyms

na asti: il ne peut y avoir; buddhiḥ: d’intelligence spirituelle; ayuktasya: pour celui qui n’est pas en contact (avec la conscience de Kṛṣṇa); na: ne pas; ca: et; ayuktasya: pour celui qui est dénué de conscience de Kṛṣṇa; bhāvanā: de mental établi dans le bonheur; na: ne pas; ca: et; abhāvayataḥ: pour celui qui n’est pas fixé; śāntiḥ: la paix; aśāntasya: pour celui qui n’est pas paisible; kutaḥ: où est; sukham: le bonheur.

Translation

Celui qui n’est pas lié à l’Être Suprême [dans la conscience de Kṛṣṇa] ne possède ni l’intelligence spirituelle ni la maîtrise du mental nécessaires pour connaître la paix. Et sans elle, comment pourrait-on prétendre au bonheur ?

Purport

À moins d’être conscient de Kṛṣṇa, on ne peut trouver la paix. Le vingt-neuvième verset du chapitre cinq le confirme: on ne devient réellement serein que lorsqu’on reconnaît Kṛṣṇa comme le seul bénéficiaire des bienfaits résultant des sacrifices et des austérités, le propriétaire de tous les univers et le véritable ami de tous les êtres. En effet, si l’on n’a pas la conscience de Kṛṣṇa, on ne peut orienter ses pensées vers un but ultime, et l’absence d’un tel but ne peut qu’engendrer la confusion; mais dès qu’on réalise que Kṛṣṇa est le bénéficiaire et le propriétaire de toute chose, l’ami de tous les êtres, on peut, grâce à un mental devenu ferme et constant, trouver la paix. Par contre, celui qui agit sans le moindre lien avec Kṛṣṇa est sûr de toujours connaître l’affliction et ne sera jamais paisible, quel que soit le degré de sérénité et d’avancement spirituel qu’il affiche. La conscience de Kṛṣṇa est un état de paix spontané qui ne se manifeste que lorsque le lien avec le Seigneur est rétabli.

Texte

indriyāṇāṁ hi caratāṁ
yan mano ’nuvidhīyate
tad asya harati prajñāṁ
vāyur nāvam ivāmbhasi

Synonyms

indriyāṇām: des sens; hi: certes; caratām: débridés; yat: en lequel; manaḥ: le mental; anuvidhīyate: devient constamment absorbé; tat: cela; asya: son; harati: emporte; prajñām: intelligence; vāyuḥ: le vent; nāvam: un bateau; iva: comme; ambhasi: sur l’eau.

Translation

Comme un vent violent balaye un bateau sur l’eau, il suffit qu’un seul des sens débridés capte l’attention du mental pour que l’intelligence soit emportée.

Purport

Il suffit qu’un seul de ses sens poursuive les plaisirs matériels pour que le spiritualiste dévie du sentier de la réalisation spirituelle. Il est donc essentiel que nous engagions, comme Mahārāja Ambarīṣa, tous nos sens au service du Seigneur. Tel est le véritable moyen de maîtriser le mental.

Texte

tasmād yasya mahā-bāho
nigṛhītāni sarvaśaḥ
indriyāṇīndriyārthebhyas
tasya prajñā pratiṣṭhitā

Synonyms

tasmāt: donc; yasya: dont; mahā-bāho: ô toi qui as des bras puissants; nigṛhītāni: ainsi refrénés; sarvaśaḥ: de toutes parts; indriyāṇi: les sens; indriya-arthebhyaḥ: des objets des sens; tasya: son; prajñā: intelligence; pratiṣṭhitā: fixée.

Translation

Aussi, ô Arjuna aux bras puissants, celui qui détourne ses sens de leurs objets possède à n’en pas douter une intelligence sûre.

Purport

One can curb the forces of sense gratification only by means of Kṛṣṇa consciousness, or engaging all the senses in the transcendental loving service of the Lord. As enemies are curbed by superior force, the senses can similarly be curbed, not by any human endeavor, but only by keeping them engaged in the service of the Lord. One who has understood this – that only by Kṛṣṇa consciousness is one really established in intelligence and that one should practice this art under the guidance of a bona fide spiritual master – is called a sādhaka, or a suitable candidate for liberation.

Texte

yā niśā sarva-bhūtānāṁ
tasyāṁ jāgarti saṁyamī
yasyāṁ jāgrati bhūtāni
sā niśā paśyato muneḥ

Synonyms

yā: ce qui; niśā: est la nuit; sarva: de tous; bhūtānām: les êtres vivants; tasyām: en cela; jāgarti: est éveillé; saṁyamī: qui est maître de lui; yasyām: dans quoi; jāgrati: sont éveillés; bhūtāni: tous les êtres; sā: c’est; niśā: la nuit; paśyataḥ: introspectif; muneḥ: pour le sage.

Translation

Ce qui est la nuit pour tous les êtres est le temps de l’éveil pour l’homme maître de soi. Et ce qui pour tous est le temps de l’éveil est la nuit pour le sage introspectif.

Purport

Il y a deux sortes d’hommes intelligents. L’un va se servir de son intelligence sur le plan matériel, dans le but de jouir de ses sens, quand l’autre va l’utiliser d’une manière introspective pour s’ouvrir à la réalisation spirituelle. Les actions du sage introspectif, de l’homme réfléchi, sont pour l’homme imprégné de pensées matérielles, obscures comme la nuit. Ignorant son identité spirituelle, le matérialiste sommeille dans cette « nuit ». Le sage réfléchi, au contraire, reste vigilant dans la « nuit » du matérialiste. Il ressent une joie transcendantale au fur et à mesure qu’il progresse sur le sentier de la réalisation spirituelle, tandis que le matérialiste, endormi, fermé à la réalisation spirituelle, rêve de divers plaisirs sensoriels, éprouvant dans son sommeil tantôt de la joie, tantôt de la peine. L’homme introspectif est toujours indifférent aux joies et aux peines inhérentes à l’existence en ce monde. Il poursuit son évolution spirituelle sans être troublé par les circonstances matérielles.

Texte

āpūryamāṇam acala-pratiṣṭhaṁ
samudram āpaḥ praviśanti yadvat
tadvat kāmā yaṁ praviśanti sarve
sa śāntim āpnoti na kāma-kāmī

Synonyms

āpūryamāṇam: étant toujours rempli; acala-pratiṣṭham: situé d’une façon stable; samudram: l’océan; āpaḥ: les eaux; praviśanti: entrent; yadvat: comme; tadvat: ainsi; kāmāḥ: les désirs; yam: en qui; praviśanti: entrent; sarve: tous; saḥ: cette personne; śāntim: la paix; āpnoti: obtient; na: ne pas; kāma-kāmī: celui qui veut satisfaire ses désirs.

Translation

À l’instar de l’océan immuable qui jamais ne déborde malgré les fleuves qui s’y jettent, celui qui demeure imperturbable devant le flot incessant des désirs peut seul trouver la paix, et certes pas celui qui cherche à les combler.

Purport

L’océan reçoit sans fin de nouvelles eaux, surtout durant la saison des pluies, et pourtant, il demeure immuable. Cela ne le change pas, cela ne l’agite pas et ne le fait pas sortir de ses limites. Il en est de même pour l’être conscient de Kṛṣṇa. Tant que l’on possède un corps matériel, les demandes des sens ne cessent d’affluer; mais le dévot, en raison de sa plénitude spirituelle, n’en est pas troublé. Conscient de Kṛṣṇa, il ne manque de rien, car le Seigneur pourvoit à tous ses besoins matériels. Le dévot est donc comme l’océan, jouissant toujours d’une plénitude totale. Les désirs pour le plaisir des sens peuvent affluer, comme les eaux des fleuves dans l’océan, mais il n’en est pas le moins du monde affecté. Rien ne le fait dévier de sa voie.

C’est à ça que l’on reconnaît l’homme conscient de Kṛṣṇa. Il n’est plus porté à jouir de ses sens, même si les désirs l’assaillent encore. Il est pleinement satisfait en servant le Seigneur avec une dévotion toute spirituelle et, comme l’océan, demeure toujours immuable, jouissant d’une paix totale. Les autres, par contre, qui jusqu’au stade de la libération veulent exaucer leurs désirs de réussite matérielle, ne trouvent jamais la paix. Les matérialistes, les gens qui cherchent le salut, mais également les yogīs en quête de pouvoirs surnaturels, sont tous insatisfaits, car leurs désirs demeurent inassouvis. Le dévot, lui, est heureux en servant le Seigneur. Il n’a aucun désir à satisfaire, pas même celui d’être libéré du prétendu asservissement au monde matériel. Un dévot de Kṛṣṇa n’a aucun désir matériel et jouit par conséquent d’une paix parfaite.

Texte

vihāya kāmān yaḥ sarvān
pumāṁś carati niḥspṛhaḥ
nirmamo nirahaṅkāraḥ
sa śāntim adhigacchati

Synonyms

vihāya: abandonnant; kāmān: les désirs de plaisir matériel; yaḥ: qui; sarvān: tous; pumān: une personne; carati: vit; niḥspṛhaḥ: sans désir; nirmamaḥ: sans esprit de possession; nirahaṅkāraḥ: sans faux ego; saḥ: elle; śāntim: la paix parfaite; adhigacchati: obtient.

Translation

Celui qui a cessé de convoiter toute forme de plaisir des sens et s’est libéré du désir, qui a renoncé à tout esprit de possession et s’est affranchi du faux ego, peut seul connaître la paix véritable.

Purport

Être exempt de désir signifie ne rien désirer pour son propre plaisir matériel. En d’autres termes, désirer devenir conscient de Kṛṣṇa, c’est être dénué de désir. On atteint la perfection de la conscience de Kṛṣṇa quand on comprend que notre position véritable est d’être un serviteur éternel du Seigneur, sans proclamer à tort que le corps matériel représente le soi, et sans non plus se dire propriétaire de quoi que ce soit en ce monde. Celui qui a atteint cette perfection sait que tout doit être utilisé pour Kṛṣṇa, puisqu’Il est le possesseur de tout ce qui existe. Arjuna refuse de combattre pour la seule satisfaction de ses sens, mais une fois devenu parfaitement conscient de Kṛṣṇa, il accepte le combat, car telle est la volonté du Seigneur. Bien que ne souhaitant pas s’engager pour lui-même dans la bataille, Arjuna lutte pour le Seigneur au mieux de ses capacités.

C’est dans la volonté de plaire à Kṛṣṇa que se trouve la véritable absence de désir, et non dans la tentative artificielle de le supprimer. Nul homme ne peut être dépourvu de sens ou de désir, mais il doit par contre en changer la qualité. Celui qui n’a aucun désir matériel sait parfaitement que tout appartient à Kṛṣṇa (īśāvāsyam idaṁ sarvam). Il ne réclame donc pas de présumé droit de propriété sur quoi que ce soit. Ce savoir transcendantal est basé sur la réalisation du soi, qui consiste à voir que tous les êtres font éternellement partie intégrante de Kṛṣṇa, qu’ils participent de la même nature spirituelle que Lui, sans que leur position éternelle ne les mette jamais au même niveau que le Seigneur, et encore moins à un niveau plus élevé. Cette compréhension de la conscience de Kṛṣṇa est au fondement de toute paix réelle.

Texte

eṣā brāhmī sthitiḥ pārtha
naināṁ prāpya vimuhyati
sthitvāsyām anta-kāle ’pi
brahma-nirvāṇam ṛcchati

Synonyms

eṣā: cette; brāhmī: spirituelle; sthitiḥ: situation; pārtha: ô fils de Pṛthā; na: jamais; enām: cela; prāpya: en obtenant; vimuhyati: on ne s’égare; sthitvā: étant situé; asyām: en cela; anta-kāle: à la fin de la vie; api: aussi; brahma-nirvāṇam: le royaume spirituel de Dieu; ṛcchati: on atteint.

Translation

Ainsi en est-il de la vie spirituelle et divine, ô fils de Pṛthā, laquelle donne à l’homme de sortir de la confusion. Qui s’y établit ne serait-ce qu’à l’heure de la mort peut accéder au royaume de Dieu.

Purport

Parvenir au niveau de la conscience de Kṛṣṇa, de l’existence divine, peut ne demander qu’une fraction de seconde, mais on peut tout aussi bien ne pas y arriver, même après des millions d’existences. C’est simplement une question de compréhension, en acceptant les choses telles qu’elles sont. Khaṭvāṅga Mahārāja y parvint quelques instants à peine avant sa mort, en s’abandonnant à Kṛṣṇa.

Nirvāṇa signifie mettre un terme à l’existence matérielle. Selon la philosophie bouddhiste, au terme de notre existence en ce monde ne se trouve que le vide. L’enseignement de la Bhagavad-gītā est radicalement différent: la vraie vie ne commence qu’à la fin de l’existence matérielle.

Savoir simplement que le mode de vie matérialiste doit s’arrêter un jour est suffisant pour le matérialiste grossier. Le spiritualiste, lui, sait très bien qu’il y a une vie spirituelle au-delà de la vie matérielle. Si, avant de mourir, on obtient la grâce de devenir conscient de Kṛṣṇa, on atteint le stade du brahma-nirvāṇa. Il n’y a d’ailleurs aucune différence entre le royaume de Dieu et Son service dévotionnel. Puisqu’ils sont tous deux absolus, s’engager au service sublime du Seigneur avec amour et dévotion, c’est atteindre le monde spirituel. Les activités du monde matériel sont toutes axées sur le plaisir des sens, alors que les activités du monde spirituel le sont sur Kṛṣṇa. Dès que l’on devient conscient de Kṛṣṇa, fût-ce dans cette vie, on atteint aussitôt le niveau du Brahman. Quiconque a développé la conscience de Kṛṣṇa se trouve déjà, sans qu’il y ait le moindre doute, dans le royaume de Dieu.

Le Brahman est tout à fait l’opposé de la matière. Le terme employé ici, brāhmī sthitiḥ, signifie « qui n’est pas sur le plan matériel ». La Bhagavad-gītā affirme que le service du Seigneur se trouve sur le plan de la libération (sa guṇān samatītyaitān brahma-bhūyāya kalpate). Le brāhmī sthiti est donc la libération de la matière.

Śrīla Bhaktivinoda Ṭhākura a dit de ce deuxième chapitre de la Bhagavad-gītā qu’il résume le livre tout entier. Les sujets dont traite la Bhagavad-gītā sont le karma-yoga, le jñāna-yoga et le bhakti-yoga. Le karma-yoga et le jñāna-yoga ont été clairement exposés dans ce chapitre, et un aperçu du bhakti-yoga s’y trouve également.

Ainsi s’achèvent les teneurs et portées de Bhaktivedanta sur le deuxième chapitre de la Śrīmad Bhagavad-gītā traitant de son contenu.